Palme
d'or,
juste "Entre les murs" de mai 08
Ce samedi 24 mai à 16h00, le grand Théâtre Lumière
bruissait dans son ultime expectative précédant
l'avant-dernière projection de la sélection officielle 2008
en compétition à Cannes.
Mi-figue, mi-raisin comme l'air du temps maussade, celle-ci n'avait pas
réussi jusque-là à fédérer l'attention
des festivaliers pour un engouement spontané et enthousiaste.
En tout cas, ce ne serait pas le "Palermo shooting" de Wim Wenders qui,
en mettant un point final à l'émulation annuelle de la Croisette,
y réussirait davantage à 19h30.
Il faut dire qu'entre temps, une ovation à nulle autre pareille
s'était déclenchée dès les premières images
du générique final du film de Laurent Cantet pour remonter
par vagues, telle une ola réitérant, de l'orchestre au balcon,
sa ronde d'applaudissements durant une bonne dizaine de minutes.
De mémoire de festivalier du nouveau Palais, seule la "Rosetta"
des frères Dardenne avait réussi un exploit similaire lors
de cette même projection atypique de 16h00 en fin de festival 1999.
En ces instants d'apothéose au cur des rangées VIP
du Grand Théâtre Lumière, l'équipe d' "Entre les
murs" avec ses 24 collégiens faisant face au staff des rôles
enseignants, pouvait se féliciter à cur joie d'un tel
triomphe transportant l'applaudimètre sur un nuage
Mais de là à imaginer que 24 heures plus tard la Palme d'or
leur serait décernée en neutralisant d'un seul coup magistral,
les multiples prétendants ayant fait gloser La Croisette durant cette
quinzaine 2008, en de tièdes consensus à l'écoute du
monde, il n'y avait que François Bégaudeau pour pouvoir le
croire... et pourtant à raison !..
A la fois auteur polyvalent, professeur en disponibilité et
désormais acteur de sa propre fonction scolaire, il n'en possède
pas moins l'humilité exacerbée de celui qui souhaite mettre
son talent au service d'une ambition transgressive.
Si donc Laurent Cantet a souhaité que, auteur et comédien
fusionnent en ce rôle d'enseignant emblématique mais néanmoins
si peu archétypal du modèle pédagogique idéal,
c'est que le metteur en scène et son conseiller étaient d'accord
pour composer un portrait schizophrénique où le "vouloir
être" resterait souvent en deçà de "l'être malgré
soi".
Ainsi, la maîtrise approximative du prof principal à
l'égard de sa classe pourrait aisément trouver sa contrepartie
chez des élèves qui eux, ne sont pas d'emblée enclins
aux attitudes exemplaires.
S'appuyant donc sur un matériau humain en recherche constante
d'adaptation des uns par rapport aux autres, le metteur en scène allait
puiser dans le roman fictionnel "Entre les murs" de François
Bégaudeau la matière à des situations relationnelles
qui seraient réécrites en un scénario tragi-comique
où les étapes du processus d'exclusion d'un élève
perturbateur serviraient de fil conducteur et de suspense au déroulement
d'une année scolaire de 4ème.
Transcendant les rapports maître-élève, le parti pris
artistique de Laurent Cantet se référant à des mises
en situation réalistes, les décale alors systématiquement
d'un degré, en l'occurrence souvent celui de l'humour, pour en extraire
une substance théâtrale où l'ensemble des protagonistes
se trouvent ainsi projetés en un souffle ludique sur les planches
d'un spectacle vivant.
Du point de vue de la critique, il ne serait donc pas pertinent d'analyser
la succession d'évènements et d'anecdotes jalonnant les deux
heures du film pour tenter de leur faire endosser quelque discours
théorique sur l'enseignement, mais il serait a contrario judicieux
d'apprécier si ce "cercle des poètes en puissance" serait en
mesure de constituer un chef d'uvre cinématographique,
c'est-à-dire de portée universelle !...
"Montage sans coutures apparentes" décrivait notamment Sean Penn,
le président du jury du 61ème Festival qui induisait ainsi
un sentiment d'hyperréalisme pouvant aisément se conjuguer
avec un imaginaire onirique expurgé de toutes clefs dédiées
ou formatées à l'avance.
Si cette Palme d'or était la réponse à une recherche
actualisée d'un mai 68, recouvré à 40 années
de distance, pour un opus destiné à transgresser l'indicible
dans la chaîne générationnelle, Laurent Cantet et
François Begaudeau pourraient se targuer d'avoir réussi à
atteindre leur cur de cible.
C'est ainsi que ce film pourrait d'ores et déjà être
appelé à un succès international, car il répond
à un besoin d'appréhender l'interréactivité du
"savoir-vivre" ensemble avec l'aspiration collective au "savoir" en une
déclinaison d'options à négocier objectivement in
situ.
Cependant pour apporter crédit à la dialectique platonicienne
installée subtilement par le prof au cur de sa classe, tel un
Socrate de La République qu'une élève aura l'intuition
de citer sans en connaître les tenants et aboutissants, n'hésitons
pas à relever, avec perplexité et sentiment paradoxal, quelques
indices de sophismes assumés vaille que vaille par le double de l'auteur
:
- Pourquoi dénigrer l'Autriche au point d'énoncer que si
ce pays disparaissait de la carte du monde, personne ne s'en apercevrait?
- Pourquoi se vanter d'utiliser le subjonctif à l'oral de façon
habituelle avec ses amis ou collègues, plutôt que d'en
préciser un usage naturellement littéraire ?
- Pourquoi s'ingénier à faire répéter
maladroitement par une élève: "Je m'excuse pour mon insolence"
à la place d'une tournure correcte telle que : "Veuillez m'excuser
pour...." ?
- Pourquoi avoir aisément recours à la mauvaise foi et par
exemple reprocher aux deux déléguées de classe leur
fou-rire de "pétasses" au sein du conseil de discipline sans qu'il
puisse y avoir de rapport avec leur compte-rendu des termes peu valorisants
que le prof a utilisé pour décrire le comportement de leur
camarade en voie d'exclusion du collège ?
- Pourquoi devrait-on se contenter d'un happy end réunissant tous
les partenaires scolaires en une joyeuse fête de fin d'année
mais surtout en un non-dit assourdissant, succédant à l'exclusion
de l'élève perturbateur sacrifié sur l'autel de l'harmonie
apparemment recouvrée ?
Observant alors que le film de Laurent Cantet possède la vertu
de mettre en perspective implicite, la problématique scolaire
contemporaine, ce sera au spectateur citoyen d'apporter sa contribution à
un débat socioculturel pour lequel le rire et le jeu auront
été d'emblée sollicités en tant que partie
prenante!
Mais alors pourquoi avoir conservé de manière éponyme,
le titre "Entre les murs" du roman à propos du film puisque son script
original aboutissant à une exclusion, décrit en passant du
virtuel au réel, l'évolution "entre les lignes" d'un "Huis
clos" vers un "Hors les murs" ?
C'est ainsi qu'aura pu être constatée l'interdépendance
entre les différents établissements scolaires se renvoyant
des uns aux autres, leurs éléments perturbateurs respectifs
jusqu'à créer une chaîne de démission collective
mais bel et bien transparente pour garantir la respectabilité et
l'homogénéité de l'Institution.
Force d'ailleurs est d'observer qu'à l'instar d'un jeu de quilles,
c'est à la suite de l'intégration en cours d'année d'un
élève en provenance d'un autre collège qu'aura eu lieu
l'incident ayant provoqué le dérapage inacceptable au regard
du conseil de discipline.
En l'occurrence, ce sera un tutoiement malvenu à l'égard
du maître qui aura été apprécié en tant
que franchissement de la ligne rouge, alors que bien d'autres critères
auraient pu lui être substitués pour un verdict fatalement
identique.
C'est donc bien un jeu de société avec des règles
à intégrer subjectivement que Laurent Cantet met en scène
sous une fiction recomposée à l'image du réel prenant
le "savoir-vivre" comme condition sine qua non avant toute autre accès
à l'apprentissage des connaissances.
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Visuel: DR
presse Festival
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Ce trompe-l'il délibérément théâtral
est sans aucun doute plus explicite que n'importe quel traité
théorique d'éducation en faisant de l'insolence et l'humour
iconoclaste au sein d'un jeu de rôles implicite, les fourches caudines
pour accéder à une ambition du savoir partagé par
tous.
C'est donc, à ce titre, que pourrait se justifier le happy end
où adultes et adolescents se retrouveront ensemble en une pause
récréative nécessairement bénéfique à
tous les esprits
.
La sortie nationale de "Entre les murs" initialement programmée
à la mi-octobre, a été avancée au 24 septembre
2008; ce qui, au dire de certains lui permettrait de pouvoir concourir
également aux Oscars 2009 !!!
En tout cas, il semblerait que son plébiscite d'ores et
déjà annoncé puisse faire oublier avantageusement le
rageur et aigre: "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je ne vous aime pas
non plus" de Maurice Pialat, poing levé pour la précédente
Palme d'or française en 1987: " Sous le Soleil de Satan ".
Cependant d'un seul coup d'un seul, l'ensemble des films projetés
toutes sélections comprises, lors de ce 61ème Festival de Cannes,
semblaient se fondre en un maelström indifférencié que
la cultissime affiche officielle 2008 allait rendre définitivement
mal voyant.
Toute éblouie par la photo originale de David Lynch, la
compétition n'avait plus de rivaux à opposer au cinéma
d'un monde "à bout de souffle" et déclarait vainqueur toutes
catégories celui par qui la rédemption avait étincelé
de mille feux au sommet des marches sur tapis rouge, juste entre les murs
des téléobjectifs.
En outre, il faut dire qu'en rendant hommage quelques jours auparavant
au centenaire de Manoël de Oliveira dans ce même Grand
Théâtre Lumière, l'art cinématographique avait
atteint un point culminant dont il était impérieux de conserver
la hauteur sidérale!
Cependant parmi cette foultitude cinéphilique, nous distinguerons
délibérément et subjectivement trois films de ce cru
cannois 2008 :
- "The good, the bad, the weird" de Kim Jee-Won, parodie asiatique
délirante et totalement maîtrisée du western "Le bon,
la bête et le truand" présentée hors compétition
officielle.
- "Le silence de Lorna" des frères Dardenne / prix du scénario
révélant une magnifique comédienne, Arta Dobroshi
- "Leonera" de Pablo Trapero également en raison de la formidable
interprétation de l'actrice Martina Gusman
Enfin, dans l'utopie d'une catharsis initiée par cette Palme d'or,
nous évoquons, à titre de réflexion, l'appréciation
déconcertante prononcée à l'issue du conseil de discipline
d' "Entre les murs":
"De toutes façons, ce n'est pas l'Institution qui exclut Souleymane
mais c'est Souleymane qui n'est plus avec nous depuis longtemps...."
Theothea le 10/06/08
Le
Festival
de Cannes
2008
ses palmarès
en consultation sur le
web:
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Compétition
officielle
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Quinzaine
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Semaine de la
critique
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