Tant Brigitte Jacques Wajeman (la metteuse en scène) qu'Alexandre
Pavloff (Rodrigue) confirment avoir été surpris chacun dans
leur domaine lorsque leurs compétences respectives ont été
sollicitées pour porter à nouveau sur scène le Cid non
joué à la Comédie-Française depuis 1977.
Estimer dans cette perspective, à l'instar de certains chroniqueurs,
qu'une motivation mal fondée et un casting en contre-emploi aient
pu menacer la réussite de cette re-création reste néanmoins
sujet à caution; il n'empêche que les partis-pris de direction
d'acteurs ne vont cesser de surprendre tout au long de la
représentation:
Comme si par exemple, Rodrigue n'élevait la voix qu'à
contretemps autant qu' à contresens, en se mettant à murmurer
là où il eût fallu lâcher les chevaux: " Nous
partîmes cinq cents .... Nous nous vîmes trois mille en arrivant
au port... ".
Quant à Chimène (Audrey Bonnet) cadencée sur un rythme
maniaco-dépressif, ses envolées alexandrines flirtent bien
souvent avec le tempo d'un rap martelé, provocant en retour une perception
moderniste des conflits intérieurs: "Vas, je ne te hais point !",
en ersatz sulfureux d'une improbable réplique telle "n... ta m...
!".
En tout état de cause, la présence physique des deux héros
sur scène transformera avec évidence leur dilemme insurmontable
en degré indicible du tourment amoureux!...
Par ailleurs comme étayée par une posture décalée,
l'infante emporte tous les suffrages critiques, tant par son attitude pragmatique
que par l'interprétation de Léonie Simaga faisant figure de
révélation en tant que nouvelle pensionnaire du
Français.
Il est incontestable que les réminiscences de la prestation de
Gérard Philipe dans les années cinquante en Avignon, voire
celle de Francis Huster plus récemment, encombrent quelque peu la
perception du rôle mythique qu'il est donc judicieux aujourd'hui de
ne pas aborder de front; aussi pourvu que le récit fût
pédagogique, les enjeux clairement exposés et surtout que la
langue versifiée y soit le vecteur incontournable, faire exister Rodrigue
et Chimène sur la scène de la Comédie- Française
peut effectivement se concevoir par une approche néo-romantique
contemporaine avec cependant pertes et profits inévitables des
repères de panache s'étalonnant sur les vertus
traditionnelles.
Du désenchantement nostalgique pourrait naître alors le
cheminement d'une réelle métamorphose dans la gamme du ressentiment
et de l'orgueil vers une prise de conscience de la notion de relativité
évoluant quelque part à distance entre sentiments privés
et devoir moral.
Au demeurant, il semblerait que cette nouvelle production puisse s'adresser
de manière privilégiée aux scolaires, et ce ne serait
pas la moindre des réussites de La Comédie-Française
que ceux-ci en ressortent heureux d'y avoir ri, fût-ce aux dépends
du modèle emblématique, mais cependant fort émus d'y
avoir trouvé réelle matière à identification.
Theothea le 30/11/05