La mise en scène de Franck Berthier est passionnante car elle
éclaire les ressentiments en contraste avec les sentiments originels,
de manière instinctive en laissant les personnages de Tchekhov
s'empêtrer dans leurs comportements contradictoires:
En effet, il n'y a pas qu'Ivanov qui traîne sa mélancolie
à longueur d'irrésolution, puisque chacun autour de lui s'applique
allègrement à n'être pas conséquent avec
soi-même.
Dépression dans le désamour, dévalorisation de soi,
endettement désabusé, chaque compartiment de la survie semble
être gangrené par la spirale du désespoir sans que les
attitudes de diversion allant jusqu'aux preuves d'amour puissent avoir une
quelconque prise sur l'impossibilité à imaginer la remise en
question de l'élan vital se sabordant en temps réel.
Au théâtre Silvia Monfort, selon une scénographie
de Danièle Rozier, le plateau est investi dans la totalité
de sa largeur afin de construire une perspective modulable entre
intériorité et extériorité qui puisse maintenir
la concomitance spatiale de ces deux imaginaires.
Sous les pas crisse un gravier grisâtre qui fait lien en assurant
le passage acoustique entre ces deux états émotionnels.
Anna (Laurence Kevorkian-Berthier), Sacha et Ivanov forment un trio conjugal
infernal où rien ne pourra satisfaire le manque absolu que chacun
éprouve dans sa sphère autistique. L'excès ou l'insuffisance
s'y retrouvent a parité de valeur, la maladie ou la santé
s'équivalent selon le schéma d'un anéantissement
programmé.
Les noces pourront ainsi servir d'enterrement à tous les projets
qui auraient pu tenir tête hors d'eau à qui aurait
décidé de rompre avec l'échec chronique, non pas d'un
homme mais d'une société tout entière symbolisée
par treize comédiens.
A ce jeu, Elsa Rozenknop démontre une jeune assurance d'actrice
remarquable à l'aune d'expériences artistiques établies
comme celle de Jean-Philippe Ecoffey, permettant une scène d'anthologie
en duo où Sacha tentera de prouver en vain à Ivanov que la
volonté exercée à son corps et esprit défendant
pourrait être le miracle ultime de l'Amour.
En toile de fond les subtilités pertinentes de la régie
son (Eric Dutrievoz), suscitant un contexte sonore néoréaliste,
confortent une discrète jubilation à cette remarquable coproduction
(La Faëincerie/Bonlieu/Ankinéa).
Theothea le 30/03/06