Encouragé par Piotr Fomenko qui l'avait convaincu au cours de la
création de "La forêt" que Michel Vuillermoz était bel
et bien son Cyrano, Denis Podalydès s'est donc senti des ailes pour
affronter sa première mise en scène au Français.
Transporté par une nécessité intérieure,
c'est un hommage au théâtre de troupe regroupé depuis
le XVIIème siècle dans la Maison de Molière auquel le
comédien s'est investi en réunissant autour de lui toutes les
volontés enthousiastes pour cet objectif ambitieux et néanmoins
très affectif.
D'Eric Ruff à Andrzej Seweryn en passant par Michel Favory, Michel
Robin, Bruno Raffaelli, Jean-Baptiste Malartre, Eric Génovèse,
Nicolas Lormeau... De Véronique Vella à Françoise Gillard
en passant par Cécile Brune, Sylvia Bergé, Florence Viala....
accompagnés de Christian Blanc, Alain Lenglet, Christian Gonon,
Grégory Gadebois, de Romain Cottard ou Paul Jeanson, de Marie Gutierrez
ou Elodie Huber..... tous costumés par Christian Lacroix faisant jongler
les atours entre XVIIème et XIXème, la célébrissime
pièce d'Edmond Rostand allait sortir d'un long purgatoire pour retrouver
l'éclat de ses bravoures sur la scène de la salle Richelieu.
Faisant ainsi appel à de mutiples talents composites, Denis
Podalydès courrait le risque contradictoire du trop-plein en illustrant
à son insu que le "mieux" peut être l'ennemi du "bien", c'est
pourquoi en confiant la dramaturgie à Emmanuel Bourdieu, il s'assura,
en néophyte avisé, d'un point de vue associé suffisamment
en recul sur son projet fantasque afin de réaliser son "Cyrano de
Bergerac" à la manière d'une fresque épique où
l'âme de "Don Quichotte" pourrait en prolonger avec légitimité
et style, l'ombre d'un véritable Commandeur:
Comme si "néanmoins" en assumant la difformité physique,
le chevalier à la triste figure aurait le pouvoir de transfigurer
l'impossible résignation en sublime destin!...
C'est donc en coup de maître, n'en déplaise aux pinailleurs
et autres exégètes de la pièce de Rostand s'inquiétant
de savoir si l'interprétation de Vuillermoz serait en mesure d'effacer
celle des illustres anciens que bien "avant la fin de l'envoi", le comédien
"touche" sa cible au plus près de notre compassion conquis par tant
de pudeur exacerbée avec justesse.
D'ailleurs la compétition posthume avec les fantômes du
rôle mythique n'aurait guère de signification si ce n'est celle
d'apprécier la détermination du "Cyrano nouveau" dans sa fougue
à poursuivre la lutte de ses valeureux prédecesseurs contre
l'arbitraire de la vie.
En outre, des avis désobligeants ont cru discerner un déficit
de charisme concernant la Roxane de Florence Gillard, alors même que
l'absence du pathétisme dans la composition de la comédienne
est en soi un gage d'intégrité à l'égard du profond
mutisme de la passion.
En effet, Denis Podalydès souhaitait des personnages qui soient
moins portés par la représentation factice d'idéaux
souvent enclins au porte-à-faux que par le véritable élan
du coeur: A juste titre, c'est-à-dire en tant que Pensionnaire, celle-ci
exprime donc précisément cela!
Il faut dire également que les décors d'Eric Ruff sont
extraordinairement riches à la fois dans leur diversité autant
que dans leurs détails constitués de multiples trouvailles
relevant directement de l'artisanat scénographique.
De la subjectivité des coulisses en visibilité de ruche
créatrice, transpire la fébrilité sensuelle de la
représentation théâtrale comme jaillissant d'un gant
retroussé par indavertance tout en induisant une "nuit américaine
du spectacle vivant" où Michel Vuillermoz y aurait décroché
le rôle de sa vie.
Médiateur de Christian à qui il souffle les mots qui sauront
distiller l'état de ravissement chez Roxane, Cyrano devrait enfin
pouvoir concrétiser l'état amoureux auquel il n'a jamais pu
accéder faute de savoir outrepasser "les lois du physique".
"Devenir ce qu'il est" ou "Demeurer ce qu'il n'est pas", telle est pourtant
l'alternative qui, dans un instant fragile, lui tendra les bras avant que
les armes retentissent pour dénier au final, tout espoir de bonheur
à chacun des protagonistes submergés dans une tempête
de pétales de mort rouge.
C'est beau!... C'est grand !... C'est fort!... C'est poignant !... C'est
sans aucun doute, le succès public assuré et mérité
qu'attendait la Comédie-Française.
Theothea le 15/06/06