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13ème  Saison     Chroniques   13.26   à   13.30    Page  211

 

 

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BAINS DE MINUIT

de Jack William Sloane

mise en scène  Daniel Colas

****

Théâtre des Mathurins

Tel: 01 42 65 90 00 

 

        Photo DR.

"Qui, Quoi, Où et Comment ?" Avec ce quadruple questionnement, le titre américain va droit au but en s'inquiétant d'identités en désarroi afin de clarifier l'imbroglio des coeurs et des esprits.

Avec "Bains de minuit", la donne est d'emblée plus rohmérienne en assimilant Alexandra à une " Pauline à la plage " qui aurait, à son insu, donné le coup d'envoi d'un jeu amoureux en trompe-l'oeil.

Mais, au-delà de ces distinguos nationaux pour affichage socioculturel, vont s'affronter deux couples hétéro qui pourraient fort bien en dissimuler deux autres, voire davantage, de nature polymorphe.

Cette troisième comédie du jeune auteur New-Yorkais, Jack William Sloane est la première à être adaptée en Français et c'est donc Daniel Colas & Yvan Marco, codirecteurs du Théâtre des Mathurins qui ont décidé de l'accueillir, de la réaliser et même de la jouer.

En s'entourant d'Eva Darlan et Linda Hardy, Daniel Colas avec sa casquette de metteur en scène fait le choix d'une direction d'actrices désormais bien habituées aux planches de son théâtre.

C'est le ton d'un humour constamment distancié mais implicitement complice qui va donner toute sa saveur à un enchevêtrement de ressentiments que l'émotion affective contenue sera en charge de travestir en effronteries, désinvoltures ou autres insolences:

Ce "Je vous souhaite une mauvaise nuit, la plus mauvaise possible !..." lancé avec le sourire narquois du dépit amoureux, reviendra fatalement en boomerang de celui ou celle qui, à son tour, aura su se révéler "mauvais joueur".

En effet, au jeu du qui perd, gagne, Alexandra, Félix, Marie-Cécile et Bertrand vont, chacun, faire leurs classes à leur rythme et devenir, dans leur domaine, expert pour "agacer" les autres, en retour de flamme.

Mais sont-ce des règles licites du jeu de société lorsqu'un ex couple légitime s'autorise à inviter au banquet de leur villégiature balnéaire, des partenaires de diversion pris en tenailles au piège du sentiment passionnel ?

Pouvant apparaître "en pilote automatique" à quelques reprises sur plus de deux heures de représentation, Daniel Colas orchestre un malicieux moulin à paroles dont il semble distribuer le tour de rôles:

Eva Darlan lui répond du tac au tac en cherchant sans cesse la faille pour le déstabiliser; Linda Hardy roucoule comme un oiseau s'inventant une cage dorée virtuelle; Yvan Marco, en bon camarade associé, offre un exutoire sur lequel chacun peut trouver son compte de compensation à ses propres frustrations.

Par esprit de synthèse universelle, l'essentiel sera, en définitive, d'être persuadé qu'il est préférable de prendre un bain de minuit à l'heure dite afin d'être apte à profiter de l'instant présent.

Theothea le 23/10/08

VICTOR HUGO MON AMOUR

de  Anthéa Sogno

mise en scène  Jacques Décombe

****

Comédie Bastille

Tel: 01 48 07 52 07

 

        Photo DR.

A l'heure de l'immédiateté fugace des courriels et textos succédant aux fax, télégrammes et pneumatiques, une correspondance de plus de 40.000 lettres sur cinquante années a de quoi éveiller, au-delà de la référence suprême qu'est la légende de Madame de Sévigné, un éblouissement candide dont seul l'amour passion pourrait avoir le secret.

En effet, de 1833 à 1883 Juliette Drouet et Victor Hugo ont consumé une énergie épistolaire qui peut laisser rêveur, tous les adeptes contemporains des apocopes ou autres abréviations intempestives réduisant la pensée a minima de sa trace visuelle.

A l'opposé, les deux amants mirent en scène scriptural, jusqu'au plus profond des tourments de leur coeur, l'élan qui les portait l'un vers l'autre sous conflagration cellulaire.

C'est pourquoi otages l'un de l'autre en une détention fougueuse dont l'écriture suscitait des répliques à l'infini, ils se répondaient en confidences sismiques sans jamais se départir du jeu de rôles qu'il s'étaient distribués dès leur rencontre initiale:

A lui, le génie et la gloire, à elle, la beauté et le pouvoir absolu d'être sa Muse, et donc à eux, de consentir à l'esclavage amoureux jusque dans ses conséquences les plus cruelles.

C'est la généalogie de ce destin qu'Anthéa Sogno a voulu appréhender au plus près, comme si elle s'approchait du feu solaire avec le risque maximal de se brûler soi-même, en extrayant les instants privilégiés où les maux induits s'entrechoquent en mots choisis, c'est-à-dire au plus fort de leur intensité.

Après la création estivale en Avignon off, voici donc Anthéa qui s'approprie dans la ferveur automnale de La Comédie Bastille, sa dialectique Drouet-Hugolienne élaborée avec le désir ardent de se situer au plus près du noyau des forces galvanisatrices.

On sait la comédienne douée pour incarner l'exaltation, la sensualité, la flamme amoureuse mais elle sait aussi flirter avec la palette des bleus à l'âme qui rendent son partenaire à la fois complexe et vulnérable.

Dans un décor à dominante rouge grenat, si chère aux prérogatives traditionnelles du Théâtre, Jacques Decombe scénarise chaque cycle de correspondance entre Juliette et Totor (Sacha Petronijevic) en champ & contre-champ qui se renvoient leur missives en une succession de bouteilles à la mer ressemblant intuitivement à un emboîtement de poupées russes, en abîme.

Theothea le 24/10/08

UNE CHAMBRE A SOI

de Virginia Woolf

mise en scène  Anne-Marie Lazarini

****

Théâtre Artistic Athévains 

Tel: 01 43 56 38 32 

 

        Photo ©  Marion Duhammel

 

De Virginia Woolf à Edith Scob, il y a le choix d'Anne-Marie Lazarini, codirectrice du Théâtre Artistic Athévains, de donner à l'écrivain féministe, cette silhouette vibrionnante que la comédienne s'applique à copier-coller sur l'intonation de chaque mot théâtralisé, selon le récit de "Une chambre à soi".

Dans un magnifique décor de Bibliothèque, dû à François Cabanat, bordée à cour et jardin d'une tenture rouge théâtre, Edith Scob va en parcourir les rayonnages, consulter les ouvrages, s'asseoir auprès des bureaux en salle de lecture, s'efforçant du geste et du regard à figurer le descriptif de chaque situation évoquée par l'auteur.

Avec sa voix haut perchée, articulant par salves et appuyant chaque syllabe du texte, son personnage de composition semble vouloir capter l'attention suprême du spectateur, en même temps que cet ininterrompu ballet de marionnettiste en épuise les forces de concentration.

Toutefois, ce n'est pas en jetant du haut de l'échelle promenoir, plusieurs exemplaires de recueils sinon misogynes tout au moins ségrégatifs, que la direction d'actrice forcera la reconnaissance attendue en un lieu où précisément le livre devrait être conservé et mis en valeur.

Cependant cette personnalité baroque et atypique se débattant tel un Don Quichotte au féminin réussit à transformer le moulin à vent en carrosse pour âme aspirant à s'extraire de sa chrysalide.

C'est par l'humour qu'Edith rejoint Virginia, là où "Oxbridge" et "Fenham" se regardent en chiens de faïence, là où la nourriture universitaire, au propre comme au figuré, n'était pas, il y a encore quelques décennies, a parité des deux sexes.

Alors Virginia a beau jeu d'imaginer une soeur à Shakespeare, Edith fera la démonstration in situ que Judith n'aurait jamais pu, à l'époque et à talent égal, avoir la moindre chance d'accomplir l'oeuvre littéraire de son frère virtuel.

C'est en effet dans l'indépendance matérielle, gage indispensable à la liberté de l'esprit, que se trouve le sésame de toute créativité.

C'est surtout en accédant aux mêmes excellences de la culture et de l'éducation qu'homme et femme peuvent se compléter au gré de leurs prédispositions naturelles.

Ainsi, en observant l'histoire des moeurs et de la littérature au travers d'un rétroviseur thématique "Les femmes et le roman" à l'occasion d'une conférence donnée aux étudiants de Cambridge en 1928, Virginia Woolf fut alors motivée à publier un an plus tard cet essai fondateur sur la création au féminin:

Quoi de mieux en effet qu' "Une chambre à soi" pour signifier et synthétiser l'espace intérieur nécessaire à tout libre arbitre et à tout mûrissement de la pensée?

A l'appui du timbre et de la gestuelle, Anne-Marie Lazarini et Edith Scob en donnent une clé d'accès; reste au spectateur d'en découvrir les sortilèges du verrou symbolique !...

Theothea le 29/10/08

LA MADELEINE PROUST

de Lola Sémonin

mise en scène  Caroline Loeb

****

Théâtre Rive Gauche

Tel: 01 43 35 32 31

 

        Photo DR.

     

Si les Ch'tis ont Dany Boon, les Francs-Comtois ont assurément Lola Sémonin; alors Bienvenue chez La Madeleine Proust à "Derrière les Gras" dans le Jura, là où avec ou sans accent, la mixité culturelle du rap et du slam aurait rejoint la modernité écologique.

Pratiquant le grand écart poétique, la "pygmalionne" va s'employer à faire vivre sur scène une jeune créature imaginaire qu'elle surnomme judicieusement "Chameau" puisqu'il s'appelle Kamel, lui qui l'aurait, un jour, rattrapé dans la rue pour lui rendre son porte-monnaie qu'elle avait égaré.

Après des adieux deux années plus tôt à l'Olympia, il aura fallu en effet la rencontre inopinée dans un troquet, d'un jeune beur de banlieue ayant reconnu la comédienne: "Je lui ai dit: Tu t'intéresses à la Madeleine, toi ? Il m'a répondu : Evidemment, la Madeleine, c'est mes racines !" pour que germe l'ultime réplique de son nouveau one-woman-show à tailler sur mesures par Caroline Loeb et actuellement en résidence jusque fin 2008 au Théâtre Rive Gauche.

Comme un pont entre deux générations, à l'instar d'une autre Madeleine, épouse de Jean-Louis Barrault, alors au soir de sa vie, c'est tel un revival d' "Harold et Maud" que revient Lola Sémonin en vieille "dame indigne" à baskets, bravache des nouvelles technologies autant que protectrice et complice d'un adolescent en rébellion contre tous les carcans et faux-semblants.

Comme un viaduc entre deux cultures, c'est aussi en marionnettiste faisant la nique à tous les tabous, a priori ou préjugés que la Madeleine affronte rumeurs et médisances sur l'exploitation de celle-ci ou l'instrumentalisation de celle-là, bien au-delà de ses accointances avec Kamel, ce rebeu du neuf-trois, berbère d'origine qui, en prenant souche dans une famille d'accueil du Haut-Doubs, aurait flashé sur le paradis terrestre dont La Madeleine serait à la fois l'hôtesse emblématique et la détentrice des clés symboliques.

A 76 ans, pourquoi voudriez-vous donc qu'elle entame une carrière de passéisme socioculturel ?

C'est bien d'ouverture sur le monde, de fraternité et de tolérance que la comédienne de 57 ans, amoureuse s'il en fut de sa région natale, nous conte, par delà sa fameuse blouse campagnarde empruntée aux Vamps voire même sa classieuse robe du soir en guise d'épilogue, les frasques et atermoiements liés au décalage universel et intemporel entre l'être et le paraître.

C'est au sein de ces brèves domestiques glanées au fil des jours que la quête de sens pourrait prendre les couleurs du temps retrouvé sans jamais toutefois se départir d'un sourire distancié car "Nous avons les pieds de Damoclès sur nos têtes !"

Theothea le 31/10/08

LES POISSONS NE MEURENT PAS D'APNEE

de Emmanuel Robert-Espalieu

mise en scène  Christophe Lidon

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Théâtre Marigny - Popesco

Tel: 01 53 96 70 20 

 

        Photo © Fabienne Rappeneau

   

Les Beach Boys ont rendez-vous chaque soir avec deux bonnets qui n'ont que leur couleur pour défendre chèrement leur ligne d'eau.

Bonnet rouge et bleu bonnet sont donc au bord du grand bassin, toujours prêts à effectuer ces longueurs qui devraient les rendre maître de l'eau chlorée.

Dans la superbe piscine Popesco du Petit Marigny, le grand rouge et le petit bleu ont à découdre du territoire qui leur revient de droit et c'est donc en tenue de combat, slip et bonnet assortis, que la serviette de bain immaculée va les cueillir au premier remue-méninges aquatique.

Cependant, politesse de circonstances, échange d'amabilités et répartition des torts n'y gagneront rien; c'est en frères ennemis que la lutte à mots nus, toutes nageoires dehors, se livrera sans autre arbitre que le public, un tantinet voyeur.

C'est du lourd ! C'est du gros poisson que l'hameçon va accrocher au bout de sa perche tendue à ces faux amis de la brasse coulée, mais bien que le bleu soit la couleur dominante du milieu abyssal, c'est paradoxalement le rouge qui va tenter la victoire par K.O.

Ayant été flouée par l'effet de surprise, la partie adverse, un temps déstabilisée mais surtout bleue de rage, va alors encaisser la rhétorique sophistique du nageur de fond pour mieux faire surgir, en contre-attaque, sa palme d'or du fameux pied de nez marin.

C'est ainsi que, jouant sur les mots autant que sur les intentions, l'auteur Emmanuel Robert-Espalieu et le metteur en scène Christophe Lidon vont réussir l'exploit de gagner, à eux quatre, le pari du Grand Bleu :

En effet, Tom Novembre et Roland Marchisio, en apnée durant soixante-dix minutes, vont descendre au plus profond de l'ivresse de la langue pour en extraire son pouvoir de domination sur autrui, toutes catégories orales confondues.

De surcroît, en mettant les rieurs de leur côté, ceux-ci assurent l'impunité de l'absurde, celle de l'antiphrase, ainsi que de l'antinomie alors qu'en véritables poissons dans l'eau, leur plongeon surréaliste, dans une piscine vide de non-sens, pourrait servir de modèle à tous les experts en manipulation.

Theothea le 01/11/08

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