Cette entrée au répertoire du
« Français » dun auteur allemand, pour la
première fois de son vivant, a été initiée sous
lère de Muriel Mayette qui, dès 2009, proposait à
Denis Marleau de faire lecture dInnocence, en perspective dune
prochaine mise en scène.
Fin mars 2014, voici donc celle-ci enfin réalisée sur les
planches de la salle Richelieu et, ainsi, livrée à
lappréciation du public dans lorchestration chorale de
son essence tragi-comique où le doute de lhumanité semble
sincarner en de multiples facettes inquiétantes mais paradoxalement
fort poétiques, celles sans aucun doute en ligne directe du si troublant
romantisme allemand.
Qui est donc cette femme qui, peu à peu, va savancer dans
lobscurité de la mer afin de sy engloutir à jamais,
si ce nest, peut-être, le double du mythe inversé de la
Lorelei qui fascinait tant les marins progressant sur les flots du Rhin
jusquà sy enfoncer et y périr envoûtés
?
Ainsi, Dea Loher observe-t-elle lerrance de ses personnages tout
occupés à se côtoyer, se télescoper, se confronter,
se neutraliser et sen retourner, ainsi de suite, en prise avec leur
indéterminisme chronique !
Qui sont-ils donc avec leurs misères, leurs ressentiments, leurs
velléités, leurs illusions, voire leur mégalomanie se
diffusant autour deux comme autant de vérités successives
toujours déçues alors quils croient enfin les capter
?
Ce sont bel et bien les représentants du genre humain, en plein
désarroi mais sans cesse en quête dune possible porte
de sortie du labyrinthe existentiel que lauteur étudie dans
une empathie infinie, teintée daberration comportementale
sépanouissant entre les lignes de son écriture, subtilement
drolatique
Cet humour latent et viscéral na pas échappé
à la mise en scène de Denis Marleau qui semploie à
laisser délibérément lensemble des protagonistes
se prendre dans les mailles du filet rationaliste toujours plus complexe
mais virtuellement bien tendu entre le jeu scénographique des douze
comédiens et la volonté de compréhension affichée
par le spectateur.
Mais voilà, il ny a rien à comprendre ou, plus exactement,
il est fort préférable de ne pas chercher à comprendre
le « pourquoi » du « comment »;
cest, en tout cas, la ligne de conduite prônée par Absolue
(Georgia Scalliet), née de parents aveugles ayant souhaité,
pour une heureuse harmonie familiale, que leur fille fût tout autant
queux atteinte de cet handicap originel.
Il pourrait, en effet, savérer que cette situation de
cécité globale puisse être le talent ultime de
lêtre humain qui naurait plus à chercher le sens
de la vie mais simplement à limaginer constamment
pour
son plus grand profit en parfaite quiétude !
Ainsi, dans un univers où lhomme ne pourrait, en
définitive, rien décider pour sa survie, y compris celle dy
mettre fin, la douce perspective de se contenter dune opacité
tellement prodigue à légard de limaginaire serait
en soi un formidable viatique que Dea Loher nous laisse le soin
dapprécier
à laune des nombreuses autres
impasses répertoriées avec tant de perspicacité
distanciée.
Theothea le 01/04/15