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Les    Chroniques   de

  

23ème  Saison     Chroniques   23.56   à   23.60    Page  444

 

     

          

             

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LE CANARD A  L'ORANGE

« Le Canard à l’Orange » ( Recette Nicolas Briançon ) enthousiasme La Michodière

   

de  William Douglas Home

mise en scène  Nicolas Briançon

avec  Nicolas Briançon, Anne Charrier, Francois Vincentelli, Alice Dufour & Sophie Artur

****

     

Théâtre de La Michodière

Reprise Théâtre de Paris

   

©  Céline Nieszawer

                                                     

De la « Vénus à la fourrure » jusqu'au « Canard à l'orange », Nicolas Briançon a l'art de régaler son public par des mises en scène où les comédiens peuvent se distancier de leurs rôles en poussant ceux-ci paradoxalement jusque dans leurs failles.

Cultivant le lâcher-prise, chacun y va de sa capacité à exacerber une situation qu'il sent lui échapper pour mieux tenter d’en reprendre le contrôle après l’essorage des pulsions contradictoires agitant le précipité des ressentiments.

Quand, de surcroît, notre metteur en scène est également partie prenante en tant que comédien, voici celui-ci jouant les démiurges omnipotents façon Sacha Guitry mais laissant apparaître ses propres vulnérabilités comme composante de l’enjeu soumis au public.

Alors, si la séduction addictive fut le ressort selon lequel le rapport de forces entre Thomas & Wanda (La Vénus ) avait dû trouver son point d'équilibre salvateur au sein d'une dualité attisée par des postures ambivalentes allant de la domination à l’assujettissement ici, à La Michodière, c'est comme si l'homme de spectacle se retrouvait de l'autre côté du miroir, versant clown assumé, cultivant le paroxysme de l’empathie joyeuse comme arme de déconstruction totale.

En effet, point question présentement de compromis petit bras, bien au contraire, grand seigneur, l'artiste jette son va-tout selon la maestria téméraire de celui qui joue à qui perd gagne avec ce qu'il a de plus précieux.

En l'occurrence, Liz Preston, son épouse, est en train de vaciller sur la pente du divorce, s'étant laissée conquérir par un enjôleur prétentieux et sans vergogne.

Le départ définitif de l’épouse étant sur le point de se conclure, Hugh Preston, le mari, ose alors un coup de maître.

Il propose à John Brownlow, l'amant, de venir passer le week-end au domicile familial sous prétexte de régler les procédures juridiques à l'amiable tout en invitant, par ailleurs, Patricia, sa propre secrétaire (Alice Dufour), afin d’objectiver le flagrant délit des torts respectifs.

Ce stratagème risque-tout étant en passe de réussir, il ne devrait plus rester qu'à développer tant d'ardeur et de compétence à bien recevoir cet hôte de prédilection que celui-ci, décontenancé par quelques circonstances imprévues, perdrait peu à peu toute son aura au regard de la conjointe infidèle.

Mais cela reste, bien sûr, plus facile à dire qu'à exécuter !

Et c'est précisément tout l'art de Nicolas Briançon d'avoir su tirer de ce chef d'oeuvre anglais, un tant soit peu désuet, le puissant principe actif ne se souciant point d’une idéologie misogyne et ringarde latente pour, a contrario, jouant avec le feu, transgresser celle-ci par une énergie positive assumant pleinement la caricature forcée.

A l’appui de cette réalisation menée tambour battant, se trouve également la nouvelle adaptation de Marc-Gilbert Sauvajon mieux formatée aux critères de l’époque contemporaine ne s’embarrassant point des convenances et des codes de bonne conduite.

En outre, la judicieuse idée d’avoir imaginer John, l’amant, avec un accent belge quelque peu trivial, permet à Francois Vincentelli de composer un personnage plein de fantaisie dont les réparties prennent une saveur propre à déclencher les fous rires.

Gageons que la vaine impatience des gourmets ne verra jamais arriver sur la table le fameux canard mais d’aucuns ne s’en offusqueront car cela autorise Mme Gray, la cuisinière (Sophie Artur), de faire des irruptions opportunes pour différer une armistice culinaire dont, en définitive, personne ne voudrait.

Dans cette perspective, Anne Charrier (Liz) a la charge très intéressante de faire évoluer sa perception amoureuse et affective au fur et à mesure des audaces de son mari liées directement au prorata des forfanteries de son amant, et c’est donc un véritable régal pour les spectateurs d’assister à leurs rounds successifs changeant ainsi peu à peu la nature du match libidinal.

Tous prennent un malin plaisir à se camper dans de beaux draps, ceux dans lesquels le bon droit rejoint au bout du compte la juste cause, fût-elle complètement antagoniste à celle des partenaires.

Reste donc, en continuité insatiable, le point de vue du spectateur se réjouissant d’observer que le ridicule, décidément, ne tue point l’humour alors que se déclenchent les salves de rire à chaque gong ponctué par le score des turpitudes sociétales.

De fait, cet imbroglio intensément drôle donne à penser que ces cinq comédiens ont vraiment de la chance d’être ainsi, chaque soir, aux premières loges de cette comédie culte pour laquelle, c’est un euphémisme, ils donnent vraiment beaucoup d’eux-mêmes.

Theothea le 23/03/19

                 

     

© Theothea.com

GUYS AND DOLLS  

« Guys and Dolls » Le Musical aux 5 Tony Awards 1951... de Broadway au Marigny.

   

d'après Damon Runyon

livret  Jo Swerling & Abe Burrows

Musique & paroles Frank Loesser

mise en scène & chorégraphie  Stephen Mear 

avec  Ria Jones, Clare Halse, Matthew Goodgame, Christopher Howell, Rachel Izen, Barry James, Joel Montague, Matthew Whennell-Clark, Jack North, Brendan Cull, Ross McLaren, Gavin Wilkinson, Ian Gareth Jones, Thomas-Lee Kidd, Jo Morris, Alexandra Waite-Roberts, Emily Goodenough, Delycia Belgrave, Bobbie Little, Joanna Goodwin, Robbie Mc Millan, Adam Dean & Louis Mackrodt

****

     

Théâtre  Marigny

   

©  Julien Benhamou

     

« Contraria Contrariis Curantur » annonce en préambule Jean-Luc Choplin, directeur du Marigny, dans le programme présentant ce Musical aux origines de la renommée internationale de Broadway.

« Les contraires se guérissent par les contraires », voilà en effet une synthèse thématique pleinement appropriée au script de « Mecs et Poupées » où se dessine l’atmosphère précédant l’épilogue de la prohibition au sein du New-York des années trente.

La faune de l’époque y faisait se côtoyer notamment la pègre des parieurs de tout poil avec celle des adeptes idéalistes de l’Armée du Salut. C’est en se référant à ces deux communautés d’apparence hétérogène que Damon Runyon rédigea ses nouvelles très à la mode dont, par la suite, Jo Swerling et Abe Burrows allaient tirer le livret de leur comédie à succès, mise en musique et chant par Frank Loesser.

Un peu plus loin dans le programme, apparaît la recommandation « A lire avant le lever du rideau » à laquelle nous souscrivons pleinement de par son utilité manifeste.

En effet, le système de surtitrage utilisé actuellement dans les théâtres est encore du domaine du palliatif pour lequel les spectateurs sont incités à recourir modérément tant que, contrairement à celle des écrans de cinéma, la lecture des dialogues nécessitera de modifier l’orientation de son champ de vision en marge de la scène.

En tout état de cause, lever la tête vers les cintres ou la tourner à cour, à jardin ne peut être considéré comme un outil de compréhension performant.

Donc le résumé francophone des deux actes de ce musical ayant été bien assimilé en amont avec son "who’s who"circonstanciel afférent, installons-nous confortablement dans la salle du Théâtre Marigny dont la rénovation fut inaugurée en septembre dernier par « Peau d’âne » sous l’égide de Michel Legrand disparu récemment.

Voici donc que cette fable sur Broadway, montée de par le monde à maintes reprises depuis sa création en 1950, est enfin arrivée à Paris pour la toute première fois en ce mois de mars 2019 sous version originale et dans une production assurément haut de gamme.

L’éclosion chaotique de deux couples inattendus, la chanteuse Miss Adélaïde (Ria Jones) avec Nathan Detroit (Christopher Howell) & La Missionnaire Sarah Brown (Clare Halse) avec Sky Masterson (Matthew Goodgame), en fonction des tensions sociales liées à des mœurs antagonistes, ne pourrait être adaptée à un autre contexte que celle de la culture américaine tant celle-ci s’y révèle dans sa spécificité sociologique.

C’est d’ailleurs cette improbabilité qui sera le fil conducteur à suspens des tribulations conduisant à la parade triomphante d’une société new-yorkaise se réjouissant de son propre éclectisme pragmatique.

Et ce d’autant plus que ce monde interlope dans lequel nous pénétrons durant deux heures et demie n’a pas son pareil dans nos références occidentales et que, de surcroît, il s’avère distancié de notre connaissance contemporaine des Etats-Unis.

Sans néanmoins être pour autant exotique, l’approche d’une communauté par une autre, la recherche du compromis sans froisser les susceptibilités de l’éventuel partenaire, la propension à vouloir influencer sans succomber au messianisme, tous ses facteurs se disputent effectivement les intérêts financiers des truands confrontés au puritanisme de ceux qui prônent la rédemption… au beau milieu parisien d’une vingtaine de comédiens - danseurs - chanteurs anglophones.

L’orchestre du Théâtre Marigny installé en fosse sous la scène est quasiment invisible de la salle, sauf à s’en rapprocher durant l’entracte pour en entrevoir quelques-uns des instruments.

La qualité du spectacle s’apprécie dans tous les compartiments du jeu artistique : de celle du casting top-niveau à celle de la puissance des voix, de celle du décor jouant avec les lumières à celle des costumes rehaussés par les couleurs vives, de celle des chorégraphies dynamiques à celle de la mise en scène précise, joyeuse et humoristique (signées ensemble Stephen Mear)… bref ce régal des sens en éveil est une ode à l’âme de la comédie musicale dans son essence comme dans son divertissement.

En faisant ainsi œuvre de pédagogie initiatrice à l’égard d’un public français encore néophyte, dans la lignée de ce qu’il avait déjà entrepris au Châtelet élaborant une programmation puisant aux valeurs sûres et constitutives de la Comédie musicale, Jean-Luc Choplin monte encore d’un cran les exigences de son projet ambitieux à l’égard de la renaissance du Théâtre Marigny pour laquelle il convie désormais le public international auquel s’adresse également son dessein de haute envergure.

Les Champs-Elysées au diapason de Broadway, voilà une bien belle gageure s’offrant un brillant avenir totalement ouvert !

Theothea le 10/04/19

         

                 

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LE PAYS LOINTAIN

« Le Pays Lointain » de Jean-Luc Lagarce en version générationnelle Hervieu-Léger à l’Odéon

   

de  Jean-Luc Lagarce   

mise en scène  Clément Hervieu-Léger 

avec  Aymeline Alix, Louis Berthélemy, Audrey Bonnet, Clémence Boué, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Vincent Dissez, François Nambot, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro, Nada Strancar & Stanley Weber

****

     

Théâtre de l'Odéon

   

©  Jean-Louis Fernandez

                                             

De « Juste la fin du monde » au « Pays lointain », il n’y a qu’une seule et même œuvre qui s’approfondit et se sublime en un cri final que Louis ne devrait pas lancer puisque tel est son destin de ne point parvenir à exprimer son départ définitif et c’est donc par cette voix muette pour toujours que le dramaturge nous revient de profundis, plus que jamais présent sur les planches après un délai de latence.

Si dans la première version, seule la visite impromptue aux membres de sa famille encore vivants servait de fil conducteur à son ambivalent retour aux origines, la remise en question de cet ouvrage allait, par la suite, ouvrir le champ des possibles jusqu’aux rencontres les plus improbables dans la vraie vie alors que l’imaginaire symbolique s’apprêtait à prendre le relais en multipliant l’esprit de famille à toute personne croisée ici-bas ayant retenu l’attention de Louis ou mieux, son affection, fût-ce la durée du coup de foudre !

Ainsi, faisant fi du distinguo entre être et avoir été, Louis convoque dans ce deuxième opus revisité tout son monde intérieur peuplé de présences virtuelles, d’absences fantomatiques ou de rencontres fortuites ayant jalonné, façonné ce que le jeune homme est devenu en cette phase finale de son parcours terrestre.

Cependant dans ce no man’s land scénographique au bord d’une autoroute où se lézardent une épave de voiture à l’abandon ainsi qu’une cabine téléphonique d’une autre période, celle de la désaffection, ce n’est pas le pan d’un mur délimitant le terrain vague qui pourrait temporiser la libre expression des dix personnages représentatifs, ici sur les planches de l’Odéon, d’au moins trois tribus, celle de la famille institutionnelle (Antoine le frère, Catherine la belle-soeur, Suzanne la sœur, le père mort déjà & la mère), celle des affinités choisies (l’ami de longue date, Hélène la fiancée, l’amant mort déjà, le garçon - tous les garçons -, le guerrier - tous les guerriers - ) et enfin celle des dix comédiens rassemblés par le metteur en scène autour de l’intrépide Louis (Loïc Corbery).

20 ans après les 20 ans de la bande à Lagarce, Clément Hervieu-Léger a, en effet, atteint l’âge qu’avait le narrateur lors de cet ultime écrit considéré par beaucoup comme son chef d’œuvre dont il allait mettre un point final juste quelques jours avant de quitter l’existence.

Sans doute faudrait-il y ajouter une quatrième communauté, celle des spectateurs, observateurs et témoins impliqués de cet instant où se rejoue l’histoire générationnelle des uns et des autres, tous confrontés qu’ils le veuillent ou non à la nostalgie du futur antérieur, cet espace temps indéterminé où le « Je me souviens » se manifeste soit en phase, soit en confrontation avec celui du partenaire ayant un point de vue similaire ou différencié concernant ce « pays lointain » et pourtant mentalement si proche.

A n’en pas douter, si durant quatre heures, Jean-Luc Lagarce ressasse, répète, réitère, approfondit sa pensée, sa mémoire, sa conscience, c’est aussi parce que celle-ci s’inscrit dans une époque, un contexte, une configuration où est en train d’éclore un fléau dévastateur impossible à ignorer ou à contourner; il n’empêche, l’auteur ne le nommera jamais et ne désignera aucunement le SIDA comme le bouc émissaire du malheur s’étant abattu sans crier gare.

A ce titre, apparaît la dimension universelle et intemporelle de cette pièce testamentaire qui se répand désormais sur la planète à renfort de traductions et d’adaptations autour de la thématique pérenne rassemblant la notion de famille sous un concept en expansion indéfinie, diverse et paradoxale.

En l’occurrence, celle des liens du sang va se vivre sous une sorte de paranoïa partagée de gestes fusionnels autant qu’émotionnels alors que celle des rencontres électives se ressentira en effusions et abandons successifs sans qu’il soit envisageable d’en discerner le démiurge, si ce n’est l’horloge qui égrène son leitmotiv.

Comment ne pas rester coi avec un imperceptible sourire permanent au coin des lèvres, lorsque Louis, le principal intéressé à cette rencontre généralisée, ne peut que constater la formidable énergie qu’il lui aura fallu produire pour qu’elle ait lieu et, concomitamment, ce douloureux sentiment de ne point parvenir à communiquer la moindre parcelle de vérité qui pourrait suspendre le temps en un signifiant absolu pour tous ?

Les onze comédiens réunis grâce à Clément Hervieu-Léger sont touchants et percutants car chacun, dans son registre, est en permanence relié par osmose à l’équipe occupant constamment le plateau même pendant l’entracte alors que Nada Strancar pourrait, elle, s’en révéler le point de convergence ou de ralliement.

Le vécu sur scène s’apparente à l’instant unique développé, ici et maintenant durant la soirée entière, pour évoquer, distiller, se remémorer, contredire, s’exaspérer, se rapprocher et se surprendre, bref pour exister !… l’espace d’une représentation théâtrale forcément exceptionnelle.

Theothea le 29/03/19       

               

     

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QUI A TUE MON PERE

« Qui a tué mon père » Création Stanislas Nordey & Edouard Louis à La Colline

   

de   Edouard Louis   

mise en scène Stanislas Nordey

avec  Stanislas Nordey

****

     

Théâtre de La Colline / TNS

   

© Jean-Louis Fernandez

               

C’est seulement par apparence syntaxique que le titre de la pièce théâtrale d’Edouard Louis poserait question car l’absence de point d’interrogation ne relève ni de l’oubli, ni d’une abstraction esthétique, ni même d’une préciosité créative.

En effet, grâce à la contraction sémantique du pronom relatif « Ce qui », « Celui qui » ou même « Ceux qui » en une seule entité représentative « Qui », le titre ainsi libellé suggère une énigme à résoudre.  

En revanche, s’il était transformé en « Ce qui a tué mon père », cet intitulé pourrait résumer le contenu d’une « pièce à conviction » voire même la compilation de justificatifs permettant de constituer un dossier à charge.

Et tel est sans doute réellement l’objectif poursuivi par Edouard Louis mais comme, sans être une commande, cet objet littéraire, né d’un travail de quête et d’analyse à partir d’une idée directrice soumise à l’auteur par Stanislas Nordey, correspondait à la perspective implicite d’en réaliser un spectacle engageant la réciprocité de fait d’un tel binôme artistique, cela pouvait s’avérer fort judicieux de laisser planer un doute et un suspens dramaturgiques sur cette création en incitant le futur spectateur à se poser effectivement la question : « Mais qui donc aurait tué le père d’Edouard Louis ? »… tout en méconnaissant que celui-là est actuellement vivant.

Ainsi, on le comprend aisément à demi-mot, il s’agirait bel et bien d’un pamphlet à vocation symbolique mais dont la teneur pourrait aussi s’apparenter à celle du mouvement sociétal contemporain pointant directement le hiatus existant entre le monde des dominants et celui des dominés.

C’est donc d’abord l’histoire d’un retour, celui d’un fils ayant dû s’extraire de l’environnement familial pour cause d’incompréhension existentielle et culturelle.

Et si les griefs reprochés de part et d’autre étaient multiples et inconciliables à l’origine, serait néanmoins venu, désormais, le temps non d’un pardon hors sujet mais celui du besoin de comprendre les causes systémiques ayant enclenché la rupture.

Et voilà donc que se dessine en creux, au regard du spectateur, le portrait d’un homme d’une cinquantaine d’années n’ayant plus la capacité d’autonomie car la machine à anéantir les corps aurait effectué son travail de sape depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui.

En effet, reproduisant de générations en générations l’abnégation du travailleur ayant intégré les codes d’autodestruction, le père aurait également tenté d’inculquer à son fils les principes du renoncement alors même qu’à son insu ceux-ci le laminaient progressivement de l’intérieur.

Edouard Louis fustige donc les normes de cette éducation censurant le désir et l’épanouissement au nom de valeurs coercitives imposées par la classe des nantis à celle des sans ressources.

Que ce soit sur le plan de l’éthique, du législatif ou de la gouvernance, ceux-ci forceraient ceux-là à abdiquer insidieusement.

C’est cette parole de rébellion vitale que Stanislas Nordey a décidé de prendre en charge pour la clamer haut et fort, d’abord sur la scène de La Colline puis en tournée, la faisant sienne en articulant les syllabes jusqu’à ce qu’elles résonnent au tréfonds des consciences.

Son style déclamatoire à nul autre pareil détient l’immense avantage de sans cesse revenir à la charge comme s’il labourait en profondeur le terreau cognitif en même temps que celui de la vigilance.

La scénographie l’accompagne d’une éclosion successive de mannequins similaires évoquant le spectre paternel en des poses régressives hantant la parole filiale.

Enfin, par-delà ce thème revendicatif d’équité civique mis en exergue, il est intéressant d’apprécier la performance impliquée du comédien Stanislas arpentant le plateau en quête de contact trans-relationnel, à l’aune de sa révélation médiatique d’avoir lui-même renoué récemment des liens avec son propre père, le metteur en scène Jean-Pierre Mocky, après une très longue période d’abstinence tacite entre eux deux.

Theothea le 25/03/19        

                 

   

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LA TRILOGIE DE LA VENGEANCE

« La Trilogie de la Vengeance » Acuité triplée par Simon Stone cloisonnant l’Odéon Berthier

   

de & mise en scène  Simon Stone  

avec  Valeria Bruni Tedeschi, Eric Caravaca, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, Alison Valence et la participation de Benjamin Zeitoun

****

     

Théâtre de L'Odéon Berthier

   

©  Elisabeth Carrechio

       

En multipliant les points de vue des spectateurs, Simon Stone invente une scénographie cloisonnée dont la chronologie est aléatoire en fonction de la répartition en groupes, déterminée au moment de l’obtention du billet au contrôle du Théâtre.

En l’occurrence, selon les trois premières lettres de l’alphabet identifiantes, le parcours sera structuré en un triptyque séquencé de deux entractes pour autant de lieux dédiés que le public investira successivement durant près de 4 heures.

Nécessairement le ressenti sera différent au gré de chaque perception subjective selon un ordre événementiel sans véritable norme établie pourvu notamment que le flash back soit accepté comme style à part entière.

Mais, en définitive, qu’importe le cycle dans lequel le spectateur lambda est inscrit, sa vision de la pièce sera forcément la bonne ou plus exactement celle des trois pièces concomitantes car si la vengeance féminine face au machisme séculaire est en thématique ouverte, les trois scénarios proposés se complètent à l’unisson selon une perspective univoque se référant à John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare & Lope de Vega.

Le principe en est simple, trois exemples culturels significatifs de la tyrannie masculine exercée sur l’autre sexe au XVIIème siècle sont appelés à susciter un effet boomerang sous forme de revanche et de châtiment universels.

Avec un casting essentiellement féminin paradant face à un seul mâle chargé de tous les dévoiements, se propulse un enchaînement de rôles au sein d’un manège théâtral d’une folle inventivité.

En effet, au cours de la soirée, les huit comédiens vont interpréter à trois reprises leurs prestations consistant à jouer synchrones trois histoires différentes sur trois scènes adjacentes mais compartimentées en modules de jeu totalement étanches.

Cela pourrait fort ressembler au don d’ubiquité mais le spectateur, lui, ne peut, de fait, percevoir en temps réel qu’un tiers du travail de chaque artiste.

Tout se passe comme si pour celui-là s’étant déplacé dans un nouveau décor après le premier entracte, la prise de conscience s’effectuait soudain que l’acteur, présent ici et maintenant devant lui, provenait effectivement d’une configuration scénique autre pour s’apprêter à se rendre ensuite dans une troisième et cela, à l’instar des partenaires, de manière répétitive au cours de chacune des périodes de cette performance ternaire.

Cela pourrait occasionner une sorte de frustration récurrente chez l’observateur n’étant pas en mesure de considérer l’ensemble de cette surprenante réalisation alors que celui-ci essaierait en vain d’intégrer sa propre vision partielle dans un imaginaire reconstitué où les coulisses apparaîtraient en arrière-plan d’une course-poursuite menée sous le triple engagement des interprètes télécommandés par cette mise en scène stupéfiante.

Ce fabuleux tournis perdurera d’ailleurs jusqu’à la dernière seconde du spectacle car, même lors des saluts, l’ensemble des protagonistes devra se déplacer par duos ou trios de façon à ce que, en chacun des trois lieux, les applaudissements puissent s’objectiver simultanément.

Jamais donc le public n’aura l’occasion de pouvoir regarder et applaudir tous les comédiens réunis ensemble.

Si cette fort ingénieuse direction d’acteurs est amenée ainsi à son terme en apothéose, elle peut néanmoins engendrer une sorte d’impression schizophrénique d’avoir été le jouet d’un fantasmagorique tour de passe-passe.

A chacun d’apprécier à sa juste valeur cette prouesse scénographique spectaculaire en hyper activité se déployant à la fois sous vision angulaire, frontale ou bi-frontale depuis les gradins voire même sous isolation phonique vitrée avec parfaite sonorisation des voix mais étrangement non géo-localisables.

Quant au matériel humain, confirmons qu’il est pleinement à la hauteur de cette entreprise, c’est-à-dire impétueux, déterminé et néanmoins adaptable aux aléas :

C’est, en tout cas, une réelle satisfaction de pouvoir apprécier les sept jeunes femmes au charisme différencié se confrontant à l’antagonisme phallocratique selon de multiples formes de résistance comportementale.

Valeria Bruni Tedeschi, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard & Alison Valence naviguent à vue solidaire sur la même embarcation artistique pour défendre chèrement la peau et les convictions de leurs guerrières.

Eric Caravaca, lui, sur le registre du boudeur cynique et autoritaire se démultiplie à remplir son cahier des charges oppressives pour parfaire son incarnation de l’aveuglement masculin.

Au demeurant, à coup sûr, cette réalisation hors du commun fera « date » dans la création théâtrale ; de là à dire qu’elle fera « école » c’est envisageable, pourvu qu’elle parvienne à faire oublier complètement son dispositif technique au seul profit d’un enjeu dramatique fort et convaincant.

Theothea le 03/04/19

            

                      

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