Après quelques dates de rodage pour son « ultime »
seul-en-scène et à la veille dune grande tournée
hexagonale projetant de se clôturer les 29 et 30 décembre 22
à LOlympia, Patrick Timsit est maintenant sur les planches du
Théâtre du Rond-Point jusquen cette fin décembre
21.
A 62 ans, lArtiste y fait ses adieux définitifs au Public
en tant quhumoriste.
Au début du projet, lidée était de composer
un best-of mais cette perspective prit une tournure fastidieuse et pas
suffisamment motivante.
Aussi quand émergea le concept de se recentrer pleinement sur la
notion d « Adieux », tout devint lumineux.
Il suffirait de démontrer point par point durant le show, les dix
bonnes raisons darrêter cette carrière triomphale mais
également doser admettre quil nétait point
possible den trouver une de plus car, au-delà, dès la
onzième, napparaissaient que des raisons de la
continuer
Donc demblée point de rappels intempestifs, il allait falloir
savoir sarrêter à lissue du salut final.
Dailleurs juste avant lentrée en scène, un film
montage est projeté durant quelques minutes où différentes
personnalités du show-biz voire de la politique le confortent dans
sa décision irrévocable venant ainsi confirmer quil serait
temps de passer le flambeau et de savoir séclipser
discrètement.
Mieux vaudrait, en effet, lère des regrets que le spectacle
de trop !
Tamisée de lumière rasante, la grande scène du Rond-Point
focalise, en avancée centrale, sur un ensemble table-tabouret-bar
lui servant de relais, de refuge et de chaire pour haranguer ses «
fidèles » puisque, bien entendu, lobjectif est toujours
de mettre les rieurs de son côté.
Alors comme à son habitude, Patrick adore endosser le mauvais
rôle, celui précisément que le politiquement correct
ambiant juge indéfendable et cest toujours par une pirouette
entendue ainsi quun sourire en coin quil zappe dun argumentaire
à lautre, dune provocation à lautre, dune
bravade à lautre.
Toutefois il le proclame toujours haut et fort : Lui se sent
profondément gentil ; cest seulement son humour qui est
perfide.
Dailleurs, quil sen prenne aux individus nommément
ou pas, à leurs comportements, aux faits de sociétés,
à lévolution des murs, à la liberté
dexpression et autres thématiques contemporaines, cest
toujours en soffusquant quil prend le public à témoin,
charge à ce dernier de corriger le tir, de retourner le gant et den
induire le message décodé à lendroit.
De cette complicité entre lartiste et son auditoire, naît
la satisfaction de comprendre à demi-mots ce quun premier
degré fallacieux pourrait donner limpression de caricaturer
à tort.
Oui bien affûté, Patrick Timsit est en très grande
forme et il semble plus que jamais en phase avec son époque mais
craindrait-il néanmoins que, selon des signes précurseurs
subliminaux, cette magie ne vienne par la suite à disparaître
par « désenchantement » ?
Le tort serait pourtant présentement de faire la fine bouche car,
pour lheure, le plébiscite artistique est effectivement au
rendez-vous proposé.
Alors, cest daccord : Adieu peut-être ! Merci, cest
sûr ! Mais surtout Bravo lArtiste !
Anne-Marie Lazarini, Directrice du théâtre
Artistic-Athévains, est une metteuse en scène qui crée
la plupart de ses spectacles dans cet écrin du 11ème arrondissement
quelle dirige avec Dominique Bourde et François Cabanat. Avec
ses acteurs, elle a lié une relation à mi-chemin de la troupe
et du groupe de recherche. Et le résultat est toujours surprenant.
Cette fois-ci, elle a eu la lumineuse idée de porter en scène
une série de chroniques écrites par Françoise Sagan
et de les aborder par le biais d'un Cabaret littéraire.
L'auditoire est saisi d'étonnement en entrant dans la salle
baignée dans la pénombre. Les silhouettes en carton, grandeur
nature, imaginées par le scénographe François Cabanat,
d'une ribambelle d'artistes, occupent les gradins. On en citera quelques-uns,
des chanteuses Juliette Gréco, Barbara, des acteurs Jean-Louis
Trintignant, Françoise Fabian, Philippe Noiret, Michel Piccoli, Orson
Welles, Claude Rich, Danièle Darrieux, des écrivains Jean-Paul
Sartre, des amis proches de Françoise comme Jacques Chazot, Yves
Saint-Laurent.
En bas des marches, un maître de cérémonie, en frac,
très élégant vous escorte vers de petites tables de
bistrot éclairées par une bougie. L'Artistic Théâtre
s'est transformé, avec son bar à néons violets sur le
côté, en cabaret à l'atmosphère feutrée.
Sur une musique d'Andy Emler, un pianiste - Guilherme de Almeida -
égrène un air de Bienvenue ''Welcome''. D'origine
brésilienne, celui-ci a reçu le 1er prix de piano de Moscou.
Pendant le temps de l'installation des convives, les comédiens
déambulent autour des tables comme pour s'échauffer avant de
plonger dans la vie trépidante et tourbillonnante de F. Sagan.
Devant de lourds rideaux rouges, trois fauteuils de cinéma et des
piles de livres, les trois interprètes de cette soirée prometteuse
vont faire corps avec les écrits de Sagan, retrouver la justesse et
l'intensité de son acuité.
Coco Felgeirolles, vêtue d'un tailleur noir pailleté s'est
fait un '' look '' Sagan avec sa coupe de cheveux blond platine.
Frédérique Lazarini, ardente, toujours un brin tragédienne
-- elle fut la splendide Lucrèce Borgia mise en scène par son
père, le dramaturge Henri Lazarini -- empoigne avec une ferveur presque
excessive cette vie divresse, faite dalcools forts, de fumée
de cigarettes. En meneur de jeu, Cédric Colas, renvoie la balle selon
une facette plus flegmatique de l'écrivaine si détachée
des conditions matérielles et d'une généreuse
désinvolture.
A compter de 1954, date de la sortie triomphale de ''Bonsoir Tristesse''
et 2003 peu avant sa disparition (24 septembre 2004), Françoise Sagan
écrit et publie beaucoup. Des livres bien sûr, courts, au style
percutant mais aussi des articles sur tous les sujets pour différents
journaux. Elle témoigne, sengage, nous dévoile ses coups
de coeur ou ses coups de griffes.
C'est tout cela qui défile devant nos yeux ébahis, au moyen
de quelques projections vidéo et quelques objets et jouets à
l'appui, avec une fluidité impressionnante en alternance avec des
morceaux musicaux, le pianiste faisant partie intégrante de la troupe
en participant d'ailleurs de temps à autre à des jeux de
scène.
Vive, acérée, insolente, F. Sagan croque les lieux et les
êtres avec une délectation malicieuse. Elle est fascinée
par New-York et éprouve une admiration sans borne pour la chanteuse
de jazz Billie Holiday, dont la voix rauque jaillira sur le lancinant ''Strange
fruits''. Et à la « petite musique » de Sagan répondent
en écho les touches mélodiques de piano dAndy Emler avec
''For Billie''.
Elle vénère le colossal Orson Wells dont le visage s'imprimera
sur le grand écran qu'encadrent les rideaux rouges avec un extrait
de ''Citizen Kane''.
Hélène Gordon-Lazareff, la directrice du magazine
« Elle », lui commande une série d'articles sur
l'Italie. L'hebdomadaire titre ses reportages « Bonjour Naples »,
« Bonjour Capri », « Bonjour Venise »...villes mythiques
toujours décrites d'une manière légère comme
les bulles de champagne !
Critique de cinéma pour lExpress, Sagan égratigne
avec humour les films sortis dans les années 60 comme le navet ''Je
pleure mon amour'' de Lewis Allen avec Lana Turner et Sean Connery, assassine
le fameux ''Austerlitz'' d'Abel Gance. Dailleurs, amusante idée
dAnne-Marie Lazarini, Cédric Colas fait tirer par une personne
du public un papier sur lequel est inscrit le nom du film qui passera à
la moulinette !
L'Express l'envoie, en 1960, en reportage à Cuba pour le 10ème
anniversaire de la Révolution alors qu'elle n'a que 25 ans. Les
comédiens, à tour de rôle, font une hilarante description
du parcours ubuesque entrepris pour voir Fidel Castro, une marche homérique
au fin fond de la Sierra au milieu de milliers de cubains en voiture
empêchant tout autobus surchargé d'avancer.
Devant un jeu de roulette que Frédérique Lazarini fait tournoyer
d'un air blasé, Cédric Colas nous raconte l'anecdote du chiffre
8 porte-bonheur pour la jeune romancière. Au casino de Deauville,
un gain de 80.000 francs dans la nuit du 8 août 1958 lui permet d'acheter
le manoir du Breuil à Équemauville près de Honfleur
au même prix le matin même.
Bien entendu, la vitesse est évoquée, son goût pour
les voitures de sport que Françoise conduit la nuit dans Paris à
vive allure est symbolisé ici par une voiture miniature rouge
décapotable que C. Colas manipule pendant que le pianiste joue ''S
comme speed''.
Elle commente l'actualité, prend la défense de la jeune
militante anticoloniale Djamila Boupacha, cette jeune fille torturée
pendant la guerre dAlgérie, soutient les infirmières
pour défendre leur statut.
Elle communique son amour du Lot, à travers un texte de 1993 que
nous entendrons à la fin, ''Cajarc au ralenti'', lieu de son
enfance.
Dans une mise en scène dynamique où le livre a une place
privilégiée, les trois acteurs sapproprient à
bras-le-corps la parole de Sagan et rendent un superbe hommage à la
romancière disparue.
Ainsi Françoise Quoirez dont le pseudonyme est emprunté
au prince Sagan dans ''A la recherche du temps perdu'' a dit : « Proust
a du génie, moi j'ai du talent ». Oui, mais quel talent ! Et
qui éclate avec une exaltation enflammée sur la scène
de l'Artistic T.
Alexis Michalik est un auteur et metteur en scène comblé.
En ce soir de décembre 2021, la belle salle du Palais Royal était
remplie par un public intergénérationnel, comportant entre
autres de nombreux jeunes et des scolaires.
Sa renommée attire toujours autant de monde alors qu' ''Edmond''
a débuté en septembre 2016, récolté 5 Molières
en 2017 dont celui du Meilleur spectacle du Théâtre privé,
jusqu'à faire l'objet d'un film hilarant adapté par lui-même
en janvier 2019.
Après ''Le Porteur dHistoire'' et ''Le Cercle des
Illusionnistes'', l'engouement reste total. Artiste doué du nouveau
théâtre français, A. Michalik sait raconter les histoires
en ''dépoussiérant'' les classiques et, ne supportant pas le
moindre ennui au théâtre, il traite ce dernier sur un mode vif,
tourbillonnant, n'en déplaise malgré tout à certains
qui s'essoufflent à le suivre.
Ses pièces sont cinématographiques, les récits
s'emboîtent, s'enchevêtrent dans des décors qui changent
à vitesse grand « V », les comédiens se
travestissent en permanence ayant plusieurs rôles car aucun d'eux ne
doit rester longtemps sans jouer sur le plateau.
Avec ''Edmond'', lauteur revient avec douze comédiens pour
raconter la triomphale et mythique première de Cyrano de Bergerac.
Une fois installés les spectateurs, conviés à un
voyeurisme latent, assistent tout d'abord à un long prologue fort
original. Sur la scène, les acteurs se préparent. Ils se sentent
à l'aise chez eux, ils s'échauffent, déambulent,
s'étirent, donnent un sucre au chien accueilli sur les planches.
Bref, ils sont dans les coulisses de leur propre théâtre
puisqu' ''Edmond'' est la genèse d'une pièce qui va se créer
sous nos propres yeux. C'est un régal de plonger dans lunivers
de la création dune uvre et de voir ainsi les comédiens
s'apprêter à jouer des acteurs en train de monter une pièce
qui deviendra ''Cyrano''.
Lorsque le rideau se lèvera, le chien « Flaco »
aura disparu de léquipe présente ce soir-là.
Dailleurs à ce sujet, la distribution n'est plus la même
qu'à ses débuts. Dans le rôle-titre, Guillaume Sentou
avait reçu le Molière de la révélation masculine
en 2017.
Aujourd'hui Edmond est interprété par Benjamin Wangermee.
Il incarne à merveille le dramaturge d'une trentaine d'années
en proie au doute, en mal d'inspiration et tiraillé par la
nécessité de nourrir femme et enfants.
En désespoir de cause, il propose au talentueux acteur alors en
vogue Constant Coquelin une pièce héroïque, en alexandrins,
mais n'en a que le titre. A lui d'imaginer en l'espace de trois semaines,
délai imposé par Coquelin, une comédie digne du point
départ qu'il a proposé sans grande conviction, un personnage
avec un grand...nez. Cocasse ! Amusé bien que perplexe, Coquelin accepte
le défi et encourage Edmond à créer un personnage à
sa mesure.
Coquelin est interprété par le truculent Jacques Bourgaux.
En 2016, c'était Pierre Forest, lequel avait reçu le Molière
du Comédien dans un second rôle. La troupe sur l'affiche actuelle
se compose de vingt-six comédiens qui jouent en alternance.
Edmond s'arrache les cheveux, en mal d'inventivité. Ce sont les
histoires de coeur de son meilleur ami Leonidas (Lionel Erdogan) pour une
habilleuse Jeanne (Sonia Bendhaou) qui vont être prophétiques.
Son ami ne sait comment exprimer son élan amoureux et implore Edmond
de l'aider à le formuler en faisant appel à son talent
d'écrivain romantique pour séduire la belle. Cette
réalité vécue sera le levain de la future pièce
d'Edmond Rostand.
Eurêka! Leonardo deviendra Christian qui aimera Roxane et lui, l'homme
de lettres, plein d'esprit, restera dans l'ombre, affublé d'un nez
disproportionné et lui soufflera les mots tendres qui touchent un
coeur épris.
Cette réalité en train de se dérouler sous nos yeux
devient source d'inspiration, se transpose dans l'écriture de la
comédie et entraînera de nombreux quiproquos où
s'entremêlent réalité et jeu théâtral.
Sa propre femme Rosemonde (Juliette Lamboley), pourtant bienveillante
et compréhensive, se montrera jalouse des vers passionnés et
enflammés adressés à Roxane, la jeune femme aimée
alors quune actrice de l'époque, très capricieuse, remettra
des scènes en question compliquant dautant les
répétitions. Bien sûr, le poète essuiera des revers
mais soutenu par Coquelin et la prestigieuse Sarah Bernhardt (Valérie
Vogt), il parviendra à créer Cyrano de Bergerac.
A la fin d' ''Edmond'', Coquelin jouera avec panache le valeureux gascon
lors de la générale, le 28 décembre 1897 au
Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Sarah Bernhardt, jouant ce
soir-là à la Renaissance, se précipitera pour pouvoir
assister à l'acte V.
Rostand, anxieux, craint un fiasco, ce sera un triomphe d'une portée
inconcevable aujourd'hui, des applaudissements à n'en plus finir.
Les décors rapidement escamotés et des jeux de lumière
simples nous plongent dans des ambiances et divers lieux en quelques secondes,
les costumes virevoltent, de nombreux personnages interviennent à
linstar de Feydeau et Courteline ainsi qu'un Ravel anachronique ou
des producteurs corses irrésistibles de drôlerie en ajouts hautement
fantaisistes
Les répliques fusent dans tous les sens, le rythme est
effréné, la mise en scène peut paraître un tantinet
brouillonne, il faut se laisser embarquer et ne pas lâcher les rênes
du navire car çà tangue beaucoup et on peut se noyer.
Mais quel plaisir du jeu, quelle inventivité, et sur scène,
la bande de comédiens fait mouche grâce à une énergie
intarissable qui emporte les spectateurs dans son sillage; cette troupe est
fédérée autour d'une comédie qui met en exergue
le dramaturge affrontant les affres de l'écriture et le montage
théâtral.
Car si on connaît bien Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand, restant
en arrière-plan, est effectivement la plume qui se cache derrière
le charisme du grand personnage. Quel formidable tremplin pour créer
un lien entre la vie et l'art, la réalité soumise à
l'écriture qui engendrera un chef d'uvre qui va le dépasser
!
Et peut-être que, à tout Seigneur tout honneur, l'auteur
et le metteur en scène Alexis Michalik pourrait s'identifier
« quelque part » à ce dramaturge qui a enfanté
une comédie flamboyante au nombre incalculable de
représentations.
Il est des états de grâce dont aucune altération ne
saurait venir affecter les approches théâtrales que lair
du temps aurait décidé de privilégier par la magie
dun auteur ou metteur en scène sachant susciter dans la perception
des spectateurs cette aptitude à viser juste sur des sentiments que,
précisément, ceux-ci ont envie de ressentir avec intensité
à une époque donnée dans une situation ambiante
spécifique.
Alors bien sûr, « Adieu Monsieur Haffmann »
avec ses quatre Molières 2018, ressemblerait déjà à
une autre époque, celle davant le Covid mais surtout celle où
la renommée de Jean-Philippe Daguerre faisait éclosion au
Théâtre Montparnasse dans une remarquable évocation de
montée du Nazisme au début de la guerre en 40 alors que
létau Juif se resserrait autour dun artisan bijoutier
contraint de vivre reclus de son métier et des siens.
Cette pièce qui donna lieu ensuite à un film eut un formidable
impact sur limaginaire du public fort reconnaissant daccéder
ainsi à une création tellement sensitive et puissante.
Deux années plus tard, en 2020, après avoir effectué
le détour de « La Famille Ortiz » fort
appréciée dans son style différencié, Daguerre
revenait à nouveau sur le devant de la scène surfant entre
les confinements successifs pour continuer actuellement les prolongations
de « Le petit coiffeur » rédigé conjointement
durant lélaboration de « Haffmann ».
Cette fois-ci dans le contexte daprès-guerre, lauteur
emmène ses personnages dans la période dite de
« Lépuration » très peu présente
dans la production théâtrale contemporaine.
Cest en sintéressant à la célèbre
photo de Robert Capa révélant au monde une jeune femme tondue
portant dans les bras son bébé sous les clameurs hostiles de
la foule après la libération de Chartres que le metteur en
scène eut la prémonition de son nouveau projet
décriture et de mise en scène.
Cette thématique le reliait directement à celle
d« Haffmann » mais allait prendre une dimension
psychosociale universelle en sarticulant autour dune famille
constituant une sorte de microsociété représentative
des contradictions idéologiques, éthiques, citoyennes mais
aussi affectives dont le peuple français est en soi porteur à
loccasion de tels événements douloureux où les
convictions, les partis pris et la partialité ont quelques
difficultés à rejoindre lobjectivité.
En effet, la liaison amoureuse de Lise avec loccupant allemand serait
au centre du bouleversement surgissant dans ce foyer où se côtoient
une mère, Marie grande résistante, son compagnon Léon
membre FFI et deux frères, Jean à tendance autiste, Pierre
coiffeur et parallèlement artiste peintre de
« nues » selon des modèles
« vêtues ».
Cette famille Giraud à la fois donc originale et disparate sera
la proie tout à la fois de tensions intérieures que de pressions
extérieures quil lui faudra gérer au mieux des circonstances
aléatoires mais également de la volonté dempathie
et de bienveillance que lauteur souhaite apporter à la
réflexion collective circulant de la scène à la salle
du Rive Gauche dans laquelle son directeur Eric-Emmanuel Schmitt est fier
daccueillir avec grande ferveur cette création.
Si donc le public plébiscite avec empressement cette pièce,
cest bien sûr parce quil reconnaît à JP. Daguerre
ce talent démouvoir et de rendre sensible des pulsions
contradictoires quil serait indispensable dapprendre à
maîtriser mais cela, sans doute, dautant plus que la
conjoncture virale actuelle est elle-même source de polémiques
radicales dont il serait pragmatique den tirer des leçons vertueuses
de coexistence apaisée.
Les monstres sacrés sont des personnalités qui, en passant
de lautre côté du miroir, ne cessent de hanter la
mémoire collective tout en lui offrant une présence hors du
temps.
Quils soient encore de ce monde ou non, lattraction quils
exercent échappe aux stratégies promotionnelles pour laisser
place à une plénitude charismatique bien fondée.
Souvent quelques interprétations magistrales leur ont forgé
cette fameuse renommée impossible à anticiper mais la
voulaient-ils ? La recherchaient-ils seulement ? Rien nest moins sûr
et quelques fois même, il est patent que la surexposition aura
véritablement constitué le fardeau de leur carrière.
En prototype dune telle destinée, voici mesdames et messieurs,
un comédien de 83 ans dans toute sa force dâme avec un
magnétisme physique intact dont le regard bienfaisant continue
déclairer lauditoire suspendu à ses lèvres
applaudissons ici et aujourdhui Jean-Claude Drouot, ex-pensionnaire
de La Comédie-Française.
Cet artiste qui interprète le dernier recueil de poèmes
écrits par Victor Hugo à la fin de sa vie, installe en salle
Noire du Lucernaire chaque soir à 18h30, un envoûtement
rhétorique exclusivement dédié à la quête
de sens que lhumanité en communion avec la nature est en droit
despérer cet espace magique où convergent apaisement,
curiosité et émerveillement, cest tout simplement
lenfance que Victor Hugo ne cesse de redécouvrir à Paris
et à Jersey au travers de ses petits-enfants orphelins, Georges
et Jeanne.
A linstar dun Jean-Jacques Rousseau qui voudrait leur faire
apprécier comme à Emile, la beauté et les mystères
laccompagnant, cest en aïeuls admiratifs de toutes les pulsions
qui animent ces mômes que Victor et Jean-Claude sunissent en
chur pour se mettre à lécoute de leurs interrogations,
de leurs étonnements, de leurs allégresses ravissant ainsi
les sentiments daffection menacés par la jachère et la
désolation amoureuse du grand âge.
Cette sincérité des affects sexprimant ainsi à
travers des poèmes évoquant lexistence humaine dans sa
complexité, ses contradictions, sa soif dabsolu a le don
déveiller en chacun des lecteurs, ici en chacun des spectateurs,
cette proximité avec les origines et la source de la création
dans sa grandeur, sa profusion et ses allégories.
Confortablement installé dans son fauteuil au sein de la
maisonnée, lacteur se parle à lui-même, il
sadresse à Jeanne, à Georges et par-delà, à
nous qui lécoutons intensément et voyageons ainsi par
lintermédiaire de la poupée, la marionnette quil
chérit, quil cajole sous notre regard amusé
Ô temps suspend ton vol !.. Quand le lyrisme de Victor Hugo vient
ainsi se superposer à la sérénité, la stature,
la profondeur dune âme bien décidée à donner
ce quelle a de meilleure au profit de tous, cest ce quon
est en droit dappeler « létat de
grâce » qui se propage de la scène à la
salle.
Ce soir-là dailleurs, au rappel ultime que le public a
souhaité forcer de ses applaudissements renouvelés, le
comédien Jean-Claude Drouot a repris sa propre parole et dit en substance
: « Si vous avez aimé, sachez que moi aussi jy prends
un grand plaisir. Cest précisément pour ces instants
de communion que nous montons sur scène et que nous pouvons, jour
après jour, toujours aller plus loin dans notre recherche du
juste ».
Oui, cest bien ainsi que le spectacle est réellement vivant
!