Magazine du Spectacle vivant ...

   

 

   

Les    Chroniques   de

  

26ème  Saison     Chroniques   26.21   à   26.25    Page  466

     

     

       

                   

                 

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LE ROI LION Le Musical  -  Vidéo  "Le Cercle de La Vie"  -  

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VIVRE SA VIE

« Vivre sa Vie » de Godard en remake d’un siècle sur l’autre par Berling

      

de  Jean-Luc Godard

mise en scène  Charles Berling

avec   Martine Schambacher, Pauline Cheviller, Sébastien Depommier & Nico Morcillo

****

     

Théâtre 14

      

© Vincent Berenger

       

Alors qu’un critique note en substance que - Maquiller L’Œuvre de Godard telle une voiture volée pourrait s’apparenter à une volonté d’appropriation esthétique illégitime - nous nous interrogeons sur les intentions artistiques du metteur en scène Charles Berling.

Ne devrait-on point voir, au contraire, dans son remake façon Théâtre, l’hommage en toute humilité à un film culte datant de 1962 qui tenterait d'éclairer, grâce à un corpus idéologique et littéraire façonné par les multiples personnalités ayant milité pour la libération de l'être humain, ce qui, à l'époque, ne cherchait pas tant la distance critique que le constat de l’aliénation ?

Une chose est sûre en cette veille de fêtes de fin d’année 2021: Après avoir assisté à la représentation, au Théâtre 14 si chaleureusement rénové, de cette création selon une distribution ayant partiellement évolué depuis 2019, l’envie spontanée de revoir rapidement le film est patente avec notamment la curiosité justifiée de comparer et d'évaluer la prestation de Pauline Cheviller aujourd’hui à l’aune de celle d’Anna Karina hier.

Bien évidemment, l’une ne va pas faire de l’ombre à l’autre et vice versa mais l’incarnation du rôle initial « rejoué » dans le miroir du temps révolu à travers une jeune comédienne déjà bien installée dans le paysage théâtral est comme un appel à la célébration du « mythe récemment disparu » en même temps que la reconnaissance d’une performance remarquable en temps réel.

De plus, un véritable moment de grâce plane sur l’assistance au moment où cette comédienne se dédouble en chanteuse envoûtante d’un texte dont elle est l’auteure.

Oui, Pauline Cheviller nous émeut à travers la palette des sentiments, des postures et des implications qu’elle sous-tend. Elle agit comme « révélation » de soi à l’autre !

De surcroît, celle-ci est particulièrement bien entourée; en effet, chacun selon son style, Martine Schambacher et Sébastien Depommier multiplient leurs interventions en cumulant brillamment les personnages interlopes et contradictoires.

Celle-là en endossant la face diabolique et perverse des rapports de force, celui-ci en s’investissant d’un genre à l’autre dans la maestria et l’ambiguïté féline.

Nico Morcillo, lui, adoucira ou soulignera les mœurs oppressantes par des fugues venues d’un ailleurs.

Tel un chemin de croix en douze tableaux, Berling reste conforme à Godard jusqu’au dénouement tragique final… mais, effectivement, il sera accompagné comme en voix off d’une pléiade d’anges gardiens balisant de leur musique intérieure le faisceau de questionnements sous-jacents au gré d’une plus ou moins cacophonique conscience collective reformatée grâce à Virginie Despentes, Marguerite Duras, Henrik Ibsen, Bernard-Marie Koltès, Griselidis Réal, Sophocle, Frank Wedekind, Simone Weil…

A chacun donc d’y trouver ses véritables repères et ses lignes de fuite, car Personne en définitive ne détient la potion magique du politiquement correct face à la domination de l’homme par l’homme.

Il n’en reste pas moins que le spectacle de Charles Berling est à la fois vertueux, réfléchissant et percutant tout autant que Pop, Kitsch et bluffant. Vive Godard !

Theothea le 16/12/21        

         

         

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE

« Truffaut Correspondance » en effervescence à La Manufacture des Abbesses

        

publication  Gilles Jacob & Claude de Givray  

mise en scène  Judith D'Aleazzo &  David Nathanson

avec  David Nathanson & au piano en alternance Antoine Ouvrard & Pierre Courriol  (Les ailes de Clarence)

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Manufacture des Abbesses

      

© Luca Lomazzi

            

L’interprétation et la mise en scène par David Nathanson d’un florilège de lettres écrites par François Truffaut s’avère une formidable opportunité pour découvrir ou relire le recueil de quelques 500 missives rédigées entre 1945 et 1984 que Gilles Jacob et Claude de Givray ont publié en 1993 dans lequel ce comédien/réalisateur a puisé pour sélectionner et ainsi présenter certaines selon une scénographie de Samuel Poncet où Antoine Ouvrard en alternance avec Pierre Courriol les accompagne de ponctuations pianistiques basées principalement sur les musiques des films de Truffaut dans un spectacle intimiste présenté à la Manufacture des Abbesses.

L’emprise sur le spectateur est fort réussie car David Nathanson reste en retrait du personnage, ne cherchant en aucune manière à incarner Truffaut voire l’imiter mais en revanche par les intonations, la gestuelle, les silences, le rythme de la parole, le comédien ne cesse de s’impliquer dans le ton et l’esprit de ces messages écrits et ainsi retranscrits vocalement selon une palette de sentiments, ressentiments, colère feinte ou rentrée, affections, intérêts exprimés et autres impatiences dépeignant ainsi de l’intérieur un François Truffaut fort peu connu des cinéphiles.

L’agencement scénique est notamment effectué à l’aide de rétroprojections concernant des documents ou objets vintage disposés à même une table basse circulaire trônant proche d’un confortable fauteuil d’où le metteur en scène peut réguler l’action.

David Nathanson et son partenaire musical du soir emmènent ainsi le spectateur dans un dédale de souvenirs faisant référence à des gens connus, des évènements ciblés, des faits culturels signifiants de telle manière que ce dernier pourrait aisément y lire en surplomb sa propre souvenance cheminant sur les rails de la mémoire collective, bien sûr cinématographique mais surtout très imprégnée de littérature avec grande ambition artistique.

Cela s’apparente à une remontée dans le temps par strates où la vie stimulée par la créativité au quotidien prendrait l’avantage sur tout autre considération.

En effet, François Truffaut, le nez dans le guidon de ses projets, semble progresser au fil des difficultés, des obstacles, des amitiés, des jalousies et surtout dans une sensibilité à fleur de peau selon laquelle l’écriture aurait la vertu d’exprimer les aléas autant que de les temporiser dans un flux ininterrompu de sollicitations.

C’est à cet endroit que « les lettres », choisies à dessein par le comédien pour un spectacle cadré selon son rôle de passeur, pourraient faire place à la compilation de Gilles Jacob suscitant, de facto, un impact démultiplié pour peu que le spectateur, ayant été intrigué par la sélection de ces courriers postaux vus et entendus avec fascination, décide d’aller dans la foulée consulter l’ensemble de cette correspondance.

En effet, cette publication révéle, à l’état brut, un chaos permanent et une motivation exacerbée selon des liens professionnels et amicaux entrecroisés ainsi qu’autant d’affectivité que de désobligeance revendiquée et assumée, bref un véritable arsenal qui pourrait s’apparenter aux échanges pratiqués sur les réseaux sociaux contemporains à ceci près que la langue française y serait maniée, certes dans un langage courant mais avec la dextérité d’un maître en subtilités variées et perfides, étant lui-même plutôt amusé que courroucé.

Au demeurant, tout en restant pragmatique, François Truffaut se révèle impliqué dans un engagement existentiel au nom d’une approche véridique dont il souhaiterait ne jamais se départir. L’extrait suivant tiré de la lettre envoyée à Helen Scott, le 9 janvier 1961 peut donner une idée de ses prises de position radicales et sans concession :

« Effectivement, Jeanne Moreau vient à New York vers le 20 de ce mois, j’ignore avec quel Jules. Je lui ai parlé de vous et elle ne demande pas mieux que de vous voir; elle vous décevra peut-être, car j’ai remarqué que vous vous faîtes encore pas mal d’illusions sur les comédiens, acteurs et vedettes.

Qu’est-ce qu’il ne faut pas avoir dans la tête pour faire ce métier-là ? Il s’agit de se hausser sans cesse au-dessus des autres, ce qui revient, au fond, à les rabaisser; au départ, il s’agit d’une vocation, d’une ambition assez pure, être aussi bien que tel ou tel, puis mieux que tel ou tel, puis il s’agit de couler tel ou tel; les vedettes sont tristes, mais d’une tristesse dégueulasse.

Les vedettes souffrent parce qu’on les emmerde; quand on ne les emmerde plus, c’est encore pire. Elles travaillent huit heures par jour à se détacher de l’humanité et elles prétendent ensuite exprimer tous les sentiments humains. Je vous assure qu’aucune ne peut racheter les autres… »

Il faut comprendre que Truffaut n’épargne personne, pas même lui-même, donnant ainsi l’impression d’être constamment prêt à tout remettre en question… jusqu’à sa propre compétence et sa légitimité à faire des films.

Cela crée une tension permanente mais paradoxalement salutaire car, si le choix de Gilles Jacob a été de ne publier que quelques réponses aux lettres de François, dans la seule perspective de cohérence et à titre exceptionnel, cette correspondance à sens unique a la vertu de susciter un quasi autoportrait évolutif mais grandeur nature d’un des plus grands metteurs en scène français depuis son adolescence jusqu’à sa mort.

Il s’agit d’une autre époque au XXème siècle mais dans laquelle on se déplace avec passion tant les motivations sont arc-boutées à l’ambition de se dépasser soi-même.

Félicitations à David Nathanson et sa compagnie d’avoir ainsi su susciter un regain d’intérêt pour cette correspondance qu’il aura réussi à transplanter sur la scène en éveillant l’attention, l’admiration et l’émotion du public.

Theothea le 08/01/22

       

   

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LAWRENCE D'ARABIE

« Lawrence d’Arabie » d’Eric Bouvron en chœur céleste au 13ème Art

      

de Eric Bouvron & Benjamin Penamaria

mise en scène  Eric Bouvron 

avec  Kevin Garnichat, Alexandre Blazy, Matias Chebel, Stefan Godin, Slimane Kacioui, Yoann Parize, Julien Saada, Ludovic Thievon et musique live Julien Gonzales, Raphaël Maillet, Cecilia Meltzer

****

     

Théâtre Le 13ème Art

      

© Aurore Vinot

               

Certes, au titre de « Lawrence d'Arabie » résonnant dans les esprits comme le chef-d'œuvre cinématographique ultime de David Lean, place à l’incomparable Peter O'Toole imprimant l'écran onirique bien au-delà de son regard bleu en focal sur l'infini !

Mais, désormais, place également à la créativité théâtrale d’Eric Bouvron ne cherchant aucunement à rivaliser avec ce prodigieux patrimoine mais bel et bien à se mesurer à une non moins magnifique histoire d'hommes dont les conséquences sociopolitiques sont plus que jamais d'actualité dans notre monde globalisé.

Que ce soit en disciple de Mnouchkine ou en émule de Michalik, ce sont bien entendu les palpitations de son récit qui serviront de fil conducteur en temps réel pour élaborer le découpage en de multiples scènes se succédant à vue sur le plateau dans la perspective de stimuler l'imaginaire du spectateur toujours prêt à suivre et à poursuivre les images suscitées grâce à la pluralité d'évocations sensibles.

C'est d'abord et avant tout la musique qui prendra la direction de cette épopée: Violon, accordéon et chant présideront de concert aux percussions et autres bruits d'ambiance en créant d'emblée depuis la première seconde du spectacle jusqu'à sa dernière, un véritable envoûtement procédant par vagues successives et récurrentes tout en distillant au cœur de la perception du public de mystérieuses vibrations spatiales venues d'un impalpable néoromantisme oriental.

En leader de ces psalmodies lancinantes faisant écho aux envolées chorales, s'élève la voix mélancolique et déchirante de Cecilia Meltzer emportant toutes les réticences à résister à l'appel du grand large désertique… ou peut-être à celles d’une aspiration universelle.

Ces mélopées agissant telles le métronome du show, le choeur des comédiens accompagnés des musiciens apparaît comme emporté dans une chorégraphie céleste du verbe et du geste par des fils invisibles les reliant à une sensuelle magie métaphysique.

Au centre de l'action et de la réflexion, se dresse évidemment Lawrence toujours au plus près de la cause humaniste briguée affirmant ses choix citoyens et politiques.

Mais si l'Ambition et l'Idéal seront sans cesse convoqués en ambassadeur de l'éthique identitaire et culturelle, c'est aussi le mensonge et la trahison qui vont avoir rendez-vous avec la « parole donnée » au risque de piéger à son insu toute « noble cause » dans l'abîme de la mauvaise conscience.

C'est, en effet, par-dessus les engagements de Lawrence vis-à-vis des tribus arabes que s'est négociée, en sous-main au sein des grandes puissances occidentales, une répartition des zones d'influence et de domination qui se concluera en 1919 lors de la signature du traité de Versailles à Paris en mettant ainsi à mal jusqu'à nos jours, la création d’une grande nation arabe unie et indépendante.

Telle est donc, de facto, la réalité de l'enjeu avec laquelle l'ensemble des Etats mondiaux auront dû composer, par la suite, pour tenter de gérer leur stratégie géopolitique.

Le choix artistique de réunir sur les planches les deux musiciens aux huit comédiens, tous mâles, jouant quelque quatre-vingt-dix personnages incluant notamment des chameaux mais également quelques rares rôles féminins est, sans doute, à inscrire dans la cohérence esthétique délibérée d’une mise en scène dont il est manifeste que, face à Kevin Garnichat (Lawrence) et en soutien autant qu’en contraste à ses acolytes, la présence charnelle, dansante & vocale de Cecilia Meltzer est en soi la tête d’affiche charismatique de cette magnifique réalisation… dont la mémoire acoustique peut se prolonger quasi ensorcelante.

Theothea le 19/01/22

           

     

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TARTUFFE ou L'HYPOCRITE

Le « Tartuffe » orgasmique de Van Hove ravive les « Damnés » à La Comédie Française

      

de  Molière  

mise en scène  Ivo van Hove  

avec  Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison, Marina Hands et les comédiennes et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan

****

     

Comédie Française

      

© Jan Versweyveld

     

A l’instar de Pasolini engendrant son « Théorème » christique se dressera désormais, en exergue de la pièce de Molière initialement interdite, Ivo Van Hove dont Le « Tartuffe » fait irruption dans une famille déphasée à l’image des « Damnés » de Visconti.

Ce « Tartuffe ou l’hypocrite », n’ayant donc été joué qu’une seule fois à la cour de Louis XIV, aura été reconstitué « génétiquement » par Georges Forestier selon trois actes auxquels Molière, sous la pression de la censure, en aura ajouté deux autres supplémentaires pour perpétuer les faveurs royales et laisser ainsi à la postérité la version traditionnelle et patrimoniale de son « Tartuffe ou l’imposteur ».

Assumant à rebours une véritable création, Ivo van Hove avait toute latitude à s’emparer de l’œuvre « originelle » mise à l’index pour la parfaire à sa mesure visionnaire et en extraire une projection névrotique du syndrome familial destiné néanmoins au final à se libérer pleinement de son carcan.

C’est histoire d’une fascination collective à laquelle tous les protagonistes souscrivent d’emblée plus ou moins dans une ascension vers la conscience nécessitant d’abandonner les illusions auxquelles Orgon (Denis Podalydès), lui, s’accroche désespérément jusqu’à l’instant fatidique.

C’est le récit de l’esprit critique devant remonter les paliers des certitudes acquises dans ses interrelations dévotiques trompées jusqu’à la méconnaissance de la réalité tangible.

Et pourtant, on ne peut pas dire que Tartuffe (Christophe Montenez) fasse beaucoup d’efforts pour abuser son monde, il aurait même tendance à feindre l’auto-dévalorisation en système de conquête.

Ivo van Hove s’appuie sur cet aplomb contradictoire en le généralisant à chacun des membres de cette famille pris dans un faisceau de rivalités imbriquées afin de susciter une sorte d’escalade vers l’enfer domestique.

L’ensemble du dispositif scénique aura à charge de baigner ce psychodrame sur un ring virtuel dans des lumières hystérisées, des torches enflammées, des flashs disjonctifs, des postures sarcastiques, des emportements démoniaques, des contorsions diaboliques, des transes ensorcelées…

Cependant toute cette agitation psychopathe semble mue par un mécanisme d’horlogerie rituel à la manière des procédures asiatiques codant les corps à corps sur tatami au rythme d’esprits délibérément disciplinés par les règles procédurales.

Chic et choc, tout s’entremêle sous dominante de l’âme noire faisant de ces fulgurances impulsives des êtres que la raison mystique pourrait maîtriser en dernière instance.

Cette lutte au sommet entre sérénité et dégénérescence est orchestrée par l’amour libidinal qui sera appelé à s’exprimer grâce à tous ses agents transmetteurs avec comme juge de paix la confiance et l’amitié portées en emblèmes intransgressibles.

Marina Hands (Elmire) et Christophe Montenez sont convoqués à des ébats torrides et sensuels pleinement stylisés et chorégraphiés dans l’extrême intensité des tensions épidermiques.

Dominique Blanc (Dorine) poussera l’outrecuidance à braver frontalement l’opinion du maître de maison pour oser lui faire retrouver raison.

Loïc Corbery (Cléante) s’évertuera sans cesse à tenter de suppléer au commandement de ce vaisseau en perdition.

Claude Mathieu (Mme Pernelle) mettra en jeu son pronostic vital en régentant son pouvoir matriarcal à l’aune d’une volonté absolutiste sans nuance.

Denis Podalydès sera l’empêcheur de tourner en rond affichant une extrême radicalité aboutissant à la perte effective de tous ses biens jusqu’à l’ultime preuve sans retour.

Le show est hollywoodien mais l’indicible est constamment sollicité pour scruter le mystère ambivalent des relations humaines en totale désorientation.

Au demeurant avec la musique irradiante d’Alexandre Desplat marquant toutes les inflexions des pulsions en cours, le démiurge Ivo van Hove réussit à fasciner de bout en bout les spectateurs tout en les contraignant à réfléchir à l’aide d’intertitres introduisant chaque étape mentale de l’enjeu sur le « pourquoi » de l’instant présent.

Ce va-et-vient dialectique entre soi « sous sécurité relative » et les autres « pris dans la tourmente » possède l’immense vertu d’incitation à donner du sens à ce que chaque observateur voit, entend, perçoit en temps réel du maelstrom ambiant tout en sachant intimement que la mise en scène magnétique d’Ivo van Hove ne fait, de toute évidence, que servir scrupuleusement l’analyse comportementaliste de Molière… au plus proche de la Lettre et de l’Esprit.

Theothea le 27/01/22

     

     

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LA CERISAIE

« La Cerisaie » de concert autour d’Isabelle Huppert orchestrée par Tiago Rodrigues

      

de Anton Tchekhov  

mise en scène  Tiago Rodrigues

avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Caïrat, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence & les musiciens, Manuela Azevedo et Hélder Gonçalves

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Théâtre de l'Odéon

      

© Christophe RAYNAUD DE LAGE            

           

Mais que se serait-il donc passé si Lioubov avait fini par accepter de se ranger au projet de Lopakhine en envisageant de transformer La Cerisaie en parc de datchas pour estivants fortunés ?

Car force est de constater qu'au final de la pièce de Tchekhov toute la tribu aristocrate devra quitter la résidence patrimoniale et que seul, en définitive, Lopakhine, l'ancien Moujik ayant escaladé les étages de l'ascenseur social, "héritera" du domaine pour y régner en stratège financier.

Or celui-ci avait pourtant bel et bien proposé à Lioubov, la maîtresse de maison endettée, d'endosser cette fonction représentative alors que lui aurait été son zélé régisseur exécutif.

Ainsi à rebours, s’affiche donc un angle passionnant de cette pièce ultime du grand dramaturge russe, mais Lioubov n'est effectivement aucunement disposée à envisager et régenter la métamorphose de La Cerisaie en parc immobilier; mieux vaudrait, en effet, regretter tout le reste de son existence l'ancien monde avec ses valeurs traditionnelles et son harmonie apaisante plutôt que de céder aux sirènes de la rentabilité économique avec tout son cortège d'aliénation existentielle et psychologique inhérent.

Ainsi le metteur en scène perçoit la démarche sous-jacente de Lioubov non seulement comme une affirmation d'indépendance mais également comme le désir inconscient d’accepter de changer la destinée semblant tracée d’avance par la généalogie.

C’est pourquoi celle-là, plongée dans une apparente hébétude bipolaire jusqu'à l'instant d'apprendre l'identité du nouveau propriétaire, retrouvera peu à peu ses réflexes fondamentaux au point d’admettre que désormais elle dort beaucoup mieux.

De là à être enchantée selon l'idée d'une nouvelle vie affrontée grâce au pécule récolté par le fruit de la vente, il y aurait sans doute davantage qu'une résignation assumée mais au moins l'amorce d'un réel optimisme face à l'avenir de tous les membres du clan.

Accompagné de cet enjeu existentiel à la clef, il semble cohérent d'adhérer à la vision de Tiago Rodrigues en concédant que si une page est tournée autant qu'elle le soit radicalement et de ne conserver la nostalgie que comme jardin secret, aussi essentiel soit-il pour chacun.

En utilisant les vibrations psychédéliques d'une formation rock intégrée à même la scénographie en traveling sur des rails transversales de cour à jardin, le réalisateur donne à chacun de ses comédiens le soin de façonner son rôle à la mesure d’une résolution chorale passant d'un ressenti à l'autre, du monde d'avant au monde d'après.

Dans cet écrin de l’Odéon laissant se profiler l’intégralité du volume scénique sur lequel s’agence, initialement en rangées ordonnées pour devenir monticule, une collection de chaises sous la veille de quelques lampadaires improbables déplaçables sur roulettes, Isabelle Huppert nous apparaît en état d’apesanteur variant de la placidité à la prostration parcourue par des cycles récurrents d’exaltation épidermique mais toujours habitée d’une langueur déterminée comme si le parcours inexorable proposé par Tchekhov loin d'être un chemin de croix pouvait s’apparenter de préférence à une cure de jouvence forcément salvatrice.

A ses côtés, se dépensant comme un beau diable, Adama Diop prend le taureau par les cornes pour s’efforcer de la convaincre de cette formidable opportunité qui s’offre à elle d’intervenir sur la fatalité de la déchéance gestionnaire en adoptant un point de vue visionnaire adapté à l’air du temps nouveau.

Faisant de Lopakhine un personnage éminemment sympathique et prévenant, Tiago Rodrigues renverse la table de la mélancolie pour en présenter ce tableau futuriste aussi attrayant qu’une maquette immobilière a le don de captiver l’imaginaire de son potentiel acquéreur.

En présence de ces deux attitudes diamétralement opposées semble s'élever non un mur d’incompréhension mais bel et bien paradoxalement un entre-deux magique où la dialectique affective paraît l’emporter sur toute autre considération tant est qu’en définitive chacun est de fait persuadé qu’il y trouvera à terme son compte alors qu'à priori l’avenir aurait pu prendre le visage de la continuité misérabiliste plutôt que la fracture mobilisatrice.

C’est donc ici en « fanfare » et avec une distribution multiculturelle de choc sous la houlette inspirée et inspirante du tout nouveau directeur du Festival d’Avignon que se déroule le processus d’expropriation de La Cerisaie tellement jouée de par le monde pour en parfaire, à l’inverse de la majorité des versions qui en attisent son crépuscule du paradis perdu, le concept de « Changement » vers un ailleurs qui devrait être largement profitable à tous ses ressortissants parvenus en confiance résiliente.

Theothea le 03/02/22

 

         

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