Cela peut être parfois très étonnant de se relire
moins dune décade plus tard pour redécouvrir une pièce
dont on ne se souvenait plus vraiment mais dont la mémoire consciente
remonterait par bribes et flashs successifs à travers les mots jetés
pêle-mêle à lépoque
Ce serait surtout particulièrement surprenant dobserver que
le compte-rendu huit années plus tôt pour « Un temps
de chien » de la même Brigitte Buc pourrait quasiment, si
on ny prenait garde, sappliquer à sa dernière
pièce dans laquelle se distinguent à nouveau son amie de jeunesse
Valérie Lemercier et en bonus Patrick Catalifo.
A ceci près quen 2014, la mise en scène était
assurée par Jean Bouchaud partenaire de Brigitte mais que,
présentement, celle-ci assure les deux fonctions dauteure et
de réalisatrice.
Ainsi alors devait sénoncer, pas nécessairement
emballée, la conclusion de la chronique : « le fait est
quen une petite heure et demie, il ne se passe pas grand-chose sur
scène, si ce nest un bavardage fort sympathique poussé
à hue et à dia, dans tous ses retranchements, comme dans un
huis clos dynamité de lintérieur »
Eh bien, disons le spontanément, un commentaire similaire, dans
lesprit, pourrait fort bien illustrer aujourdhui le retour en
bergerie Cévenole de Pascale prête à renouer avec
Michèle sa grande sur perdue de vue depuis 20 ans mais, elle
a contrario, réfractaire à ces retrouvailles.
Il faut savoir que Rémi servirait en la circonstance darbitre,
de faire valoir et de bon copain permettant à ces deux jeunes femmes
de rejouer le match du temps perdu par la vie cabossée pour navoir
pas su reconnaître plus tôt lessentiel de leurs sentiments
réciproques.
Bref, il semblerait que lécriture théâtrale
de Brigitte Buc ne sembarrasse point de grande dramaturgie ni même
de comédie à rebondissements, mais, force est de constater
que la rhétorique minimaliste voire bucolique, non seulement, lui
conviendrait fort bien mais surtout que Valérie Lemercier y
évoluerait comme un poisson dans leau
Et cest ce sentiment du confort évident de la comédienne
qui réjouit le public venant délibérément admirer
son héroïne ne craignant point de ramener à elle le personnage
à ses tics et à ses tocs subjectifs.
Face à elle, assurant le contre-emploi manifeste, se glisse dans
la discrétion du faux-semblant, Isabelle Gélinas en bécassine
des villes sujette à tous les malentendus de lécologie
triomphante pour le meilleur ou pour le pire des rôles que son talent
nait jamais eu lopportunité de maîtriser.
Et donc ces deux-là doivent sentendre si bien en coulisses
que, sur scène, elles peuvent rivaliser de répliques intimistes
à lemporte-pièce en guise de scuds à grand
guignol.
Tout cela mériterait bien un Sirtaki, vous direz-vous ! Eh
bien vous lobtiendriez aisément et, même, vous
lapplaudirez le plus joyeusement du monde !
Donc vous laurez compris, le succès de ce spectacle ne
sexplique pas il se vit et se ressent, grandeur nature, au
Théâtre Antoine dans lattente avec grande volupté,
bien que ce soit ici « hors sujet », des récompenses
en loccurrence pleinement méritées par Valérie
Lemercier pour son « ALINE » co-scénarisée
avec Brigitte Buc quévidemment la prochaine cérémonie
des Césars devrait fêter avec magnificence.
Huis Clos, la plus célèbre des pièces de Sartre,
a été créée à Paris le 7 mai 1944 au
Théâtre du Vieux-Colombier et jouée partout dans le monde,
mais délaissée depuis un certain temps, sans doute jugée
obsolète de par sa portée philosophique existentialiste athée
et son écriture qui fait date.
Et pourtant Jean-Louis Benoît s'est à nouveau emparé
avec efficacité et intelligence de l'uvre sartrienne au
Théâtre de l'Atelier qui se transforme ainsi en antichambre
de l'enfer. Le metteur en scène respecte scrupuleusement la pièce
tout en la modernisant.
Trois personnages sont condamnés à passer
léternité ensemble dans un salon bourgeois où
sont disposés, en demi-cercle, trois canapés aux couleurs
différentes. Un homme, Garcin, deux femmes, Inès, Estelle.
Ils ne se sont jamais rencontrés.
Un garçon d'étage (ce soir-là Brock, truculent portier)
les introduit les uns après les autres par une porte rouge comme le
feu au milieu de ce lieu clos et leur attribue un canapé à
chacun, le rouge pour Garcin, le gris bleu pour Inès et le brun pour
Estelle qui, n'en appréciant pas la couleur mal assortie à
sa robe, refusera de s'y asseoir.
Dans cet univers complètement hermétique, privé de
repères temporels, pas dinstrument de torture, de décors
en flammes. Seulement la présence de quelques objets tels un coupe-papier,
une sonnette qui ne fonctionne pas et une sculpture, un bronze, que le gardien
dépose sur une cheminée.
Au-dessus de leurs têtes, des lampes suspendues sont allumées
et ne pourront jamais être éteintes. La lumière (Jean-Pascal
Pracht) joue un rôle crucial et elle constitue l'essentiel de ce
décor épuré.
Nous sommes dans un « No mans land » éclairé
en permanence pour empêcher les condamnés de dormir. Ici, pas
de nuit, pas de sommeil comme échappatoire.
Car nos trois personnages doivent ''payer'' pour leurs actes, prendre
conscience qu'ils sont pleinement responsables de ce qu'ils ont mal fait
et qu'ils refusent de voir. Ici, pas d'issue extérieure, pas de
fenêtre pour tenter de fuir, pas le moindre interstice lumineux.
Chacun opte dans un premier temps pour le mensonge, lillusion de
ce quils ne sont pas, la négation de leur être réel.
Tous font mine dêtre en enfer par erreur, ou du moins de ne pas
comprendre ce qui a pu les y conduire. Leur mauvaise foi est une protection
pour eux-mêmes.
Garcin se prétend journaliste pacifiste et fait de sa désertion
un acte d'héroïsme. Inès, employée des postes
homosexuelle, se targue de son altérité. Quant à Estelle,
frivole et superficielle mondaine, elle se réfugie dans
l'imaginaire.
Cest compter sans la ténacité que le trio va mettre
afin darracher les masques qu'ils ont revêtus et parvenir à
force de harcèlement à faire avouer sa trahison, ses mauvaises
actions, jusqu'à ses crimes.
C'est le regard du partenaire qui servira de miroir et ce regard aura
la force du vitriol. Chacun est un bourreau cynique et abject pour l'autre
de par la torture mentale qu'il inflige tout en étant victime de ce
lynchage collectif.
« Tous les regards qui me mangent Ha, vous nêtes
que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. Alors cest ça
lenfer. Je naurais jamais cru Vous vous rappelez le soufre,
le bûcher, le gril Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril
: lenfer, cest les autres » dixit Garcin.
Lequel se dévoile un vrai lâche face à l'engagement
nécessairement responsable qu'il a rejeté en refusant d'aller
se battre, Estelle, mère infanticide, a tué le nouveau-né
qu'elle ne voulait pas de son amant, Inès s'est complu à faire
souffrir sadiquement sa compagne Florence.
Cette mise à nu de la vérité de chacun s'exprime
par le jeu physique des comédiens et les mots venimeux qu'ils se crachent
à la figure. Les corps en perpétuel mouvement expriment la
non acceptation de leur enfermement et de leur châtiment. Ils se mesurent,
se rebiffent, s'exaspèrent, s'empoignent, se repoussent, se
débattent.
Maxime d'Aboville campe avec hargne un Garcin imbu de lui-même
malmené par une Inès volcanique interprétée par
Marianne Basler magistrale pleine de fougue agressive et un appétit
carnassier déployé à rejeter les faux-semblants et pousser
à bout l'hystérique et narcissique Estelle (pulpeuse Mathilde
Charbonneaux).
Ainsi, le corps des acteurs tout en tension fait éclater les
dissensions jusqu'au vertige de n'avoir plus rien à sauver, assujettis
à être ensemble pour l'éternité, telle une
résignation finale avec ces derniers mots de Huis clos « Pour
toujours ! Eh bien, continuons ».
Le rideau tombe sur une sépulcrale réconciliation avec
eux-mêmes en se faisant éternellement dévorer par le
regard de l'autre.
Jean-Louis Benoît donne chair aux propos sartriens sans fioriture
avec une simplicité extrême, laissant la place au texte brut
dans toute sa puissance.
Les personnages de Huis clos sont condamnés à l'enfer car
ils n'ont pas assumé leurs actes. Il est impossible de se soustraire
à sa liberté de choix toujours possible et l'homme n'a pas
d'excuse, même menacé par le jugement d'autrui.
Servi par trois acteurs impeccables, Jean-Louis Benoît a
réconcilié la philosophie existentialiste avec un
théâtre vif, acéré, un théâtre de
l'engagement essentiel.
Jean-Marc Dumontet ouvre les portes de La Scène Libre à
Hakim Djaziri qui présente ainsi sa nouvelle pièce "Audrey
ou le journal d'une convertie" introduisant une série de spectacles
à venir qui témoigneront, tous, de faits de société
vécus au quotidien.
En l'occurrence ici Audrey, ayant subi une succession de ruptures
existentielles, finira par trouver refuge dans une idéologie
rencontrée opportunément en lui apportant un réconfort
apparent et surtout une raison de vivre.
Cependant, au fur et à mesure des étapes nécessaires
à cette pleine adhésion, les perspectives s'obscurciront et
les projets poursuivis loin des repères de la vie d'avant feront place
peu à peu à une profonde insatisfaction et à la perte
identitaire.
Comment se reconstruire une destinée quand le libre arbitre n'est
plus disponible et que la faculté de décider se dérobe
?Serait-ce possible de faire machine arrière alors qu'un
mandat d'arrêt international vous pourchasse? A quel prix ?
Une équipe de jeunes comédiens pleins de talent, de fougue
et de détermination communicative.
Du spectacle factuel interrogeant le multiculturalisme et les valeurs
sociétales en devenir.
Être suédois ou ne pas lêtre !.. Telle nest
pas la question pour les « Blond and Blond and Blond »
puisque Tø, Glär et Mår, frère & surs,
affectionnent tellement la chanson française quils ont envie
de partager avec le public ce précieux patrimoine musical en mettant
en valeur ce quil y a au-delà des mots à travers le
« non-dit » dun ressenti bien rythmé.
Ce trio nordique a, depuis 2012, écumé notamment la
francophonie, lhexagone, le festival dAvignon et plusieurs salles
parisiennes avec toujours en point de ralliement celle de lEuropéen
qui paraît agir comme un talisman sur leur notoriété.
Pleinement incarnés dans leurs personnages complexes, inattendus,
instinctifs et hyper expressifs, ils laissent échapper à leur
insu un triple talent incommensurable que le maniement encore malaisé
de la langue française continuellement matinée daccent
suédois pourrait dissimuler à ceux qui les prendraient pour
des comiques venus dailleurs.
Lune très rigide plaquée fluide, lautre bon
chic bonne charmeuse, lui philosophe déconnecté à la
guitare,
cest un régal sans cesse réitéré que
de les voir se plonger dans la culture francophone avec la candeur qui sied
à ces enfants de Vikings pleinement admirateurs de toutes ces rengaines
qui bercent notre mélancolie en les juxtaposant dans la mémoire
vivante sans prendre de gants ou de pincettes entre lélitisme
et ses variantes populaires.
En mixant ces refrains et ces ritournelles ainsi quen les
élevant, selon un nivellement par le haut paradoxal, jusquau
niveau d« intouchables », les rires fusent de toute
part en se libérant du carcan des jugements de valeur pour atterrir
avec le trio dans la galaxie du plaisir spontané, immédiat
et indicible.
A la fois hésitants, enthousiastes, maladroits et subtils, ils
étonnent et surprennent en captant toute notre attention vigilante
et néanmoins soucieuse à la crainte de perdre un signe, une
consonance, un détail, une clef qui expliquerait dun tour de
main magique qui sont vraiment les « Blond and blond and
blond ».
Marie Combeau, Claire Méchin & Romain Sellier ne seraient-ils
point ces comédiens, musiciens et artistes multi doués ayant
fait le détour du pôle nord pour renvoyer en miroir limmense
satisfaction de rendre hommage à la chanson française dans
un élan exacerbé tout azimuté et sous grande clairvoyance
scénographique de Jean-Claude Cotillard ?
Dailleurs de toute évidence, dans ce deuxième spectacle
« MARIAJ en chonsons », ils sont très fiers de
venir animer les noces de leur ami Magnus convolant avec Gwendoline tout
en permettant ainsi de célébrer joyeusement lunion
métaphorique Franco-Suédoise pour le plus drôle des
dépaysements culturels parvenu quasiment au stade du
« Surnaturel » déjanté.
Pour cet artiste quadragénaire aux déjà cinq
Molières à ce jour, la Comédie Musicale relève
davantage du Théâtre que du Récital ou du Concert.
Cest ainsi que la musique et la danse servant de liant et de fil
conducteur, la dramaturgie doit focaliser lattention du public en le
séduisant avec ces attributs expressifs mais sans aucunement
nécessiter la présence de têtes daffiche ou
dartistes vedettes.
Seuls la compétence, le talent et le savoir-faire conjugués
au pluriel collectif constitueront la garantie de succès et de
longévité du spectacle.
Avec ces principes de base, le metteur en scène peut aborder avec
confiance et détermination un projet aussi original que celui de
sapproprier « The Producers » qui ont fait un carton
vingt ans plus tôt à New-York, de les adapter à la langue
française et den faire la création dans un
théâtre emblématique de Paris, en loccurrence donc
quel meilleur choix que celui se révélant
« éponyme » ?
Point de tube à matraquer, point de spectateur à soumettre
à une addiction préalable, point de mise en condition
promotionnelle mais seulement la volonté dappliquer, en exigence
artistique, les règles de lenchaînement systématique,
de la fluidité permanente et du mouvement incessant sans jamais laisser
aux spectateurs la moindre chance déchapper au magnétisme
et à la fascination du show.
Le hasard fait bien les choses; Laurent Bentata, directeur de Stage
Entertainment France, souhaitait créer « Les
Producteurs » & de son côté, Alexis Michalik avait
le désir secret, depuis belle lurette, de rencontrer
lopportunité den faire la mise en scène.
Cette alliance au sommet fut, dès lors, pari gagné, dont
le Covid ne parvint seulement quà différer ou
éventuellement interrompre momentanément son avancement.
Ainsi depuis début décembre dernier, Le Musical de Mel Brooks
a pignon sur la rue Blanche avec pour accroche sur laffiche officielle,
lassociation du fameux Titre équivalent à un record
inégalé de 12 Tony Awards en compagnie donc de « Alexis
Michalik » bankable à souhait au prorata de la présence
conjointe actuelle de cinq de ses pièces à laffiche
parisienne.
Quimporte si de fait lhistoire est surannée, si son
arnaque aux financiers et aux vieilles dames semble oiseuse, si lhumour
peut en être graveleux voire border line selon les codes du politiquement
correct ambiant, pourvu quen retour on ait livresse
« Broadway », celle de son âge dor servie
on the rocks sur un plateau !
Et fichtre quel plateau ! Au casting, pas de demi-mesures, rien que des
pointures ayant fait leurs preuves dans de grandes réalisations
précédentes, sans pour autant être nécessairement
connues du grand public francophone.
Ainsi le producteur Max Bialystock (Serge Postigo) & le comptable
Leo Bloom (Benoît Cauden ) vont-ils unir leur ingéniosité
stratégique pour projeter une escroquerie aux assurances en envisageant
de monter un spectacle qui aboutisse demblée à un échec
commercial.
La création de luvre choisie avait effectivement de
quoi susciter linquiétude des actionnaires et la réticence
du public, puisquil sagit dun Vaudeville intitulé
« Des fleurs pour Hitler » à la gloire dAdolf
et Eva.
La guigne ! Car, dès sa première représentation,
la rumeur va prendre les couleurs du succès critique et public.
Pour assurer ainsi sur la scène du Théâtre de Paris
ce processus inverse au résultat escompté, toute une nombreuse
équipe de rôles suscitant un état de parodie mené
aux limites des convenances est si bien fantasmé par Mel Brooks que
Michalik na point dautre alternative que de sy glisser
avec délectation tout en refusant radicalement de prendre partie entre
bon ou mauvais goût, désuétude ou néo-modernité,
subtilités ou lourdeurs équivoques, machisme ou pragmatisme,
du moment quun cliché chasse lautre à la vitesse
de léclair, la célérité de sa mise en
scène gomme delle-même toute réaction de
résistance du spectateur au profit de la comédie, de la caricature
en action et, en définitive, dune stigmatisation pragmatique
par le rire, fût-il même nerveux par instants.
Seize comédien(ne)s dont six dédié(e)s à un
rôle unique assurent cette fantasmagorie dans une énergie foldingue
dont on distinguera celui dun intitulé à rallonge concernant
« Ulla Inga Hansen Bensen Yonsen Tallen-Hallen
Svaden-Sanson » magnifié par Roxane Le Texier.
Sept musiciens répartis dans les loges davant-scène
sous la direction de Thierry Boulanger au piano officient à parfaire
lemballage festif de cette comédie musicale pouvant donc
sapparenter à une pièce de théâtre bien
quelle serait de « Boulevard ».
Au demeurant, il est indéniable quAlexis Michalik a encore
réussi son coup un soir lambda de février, deux mois
après la générale, jauge archi complète, nous
assistons à un spectacle dynamique sous puissance dimpacts
inexorables défilant jusquaux saluts finals en pleine gaieté
fort communicative.
Se pourrait-il que les scores de fréquentation
d« Edmond » au Palais Royal puissent
ultérieurement être battus ? Qui vivra, verra ! Longue vie à
« Les Producteurs » !